LA LANGUE, LES MAINS, LES YEUX

"Si tu parles..personne ne t'écoute. Ou ne t'entend pas, ce qui est pire. Si tu écris...personne ne te publie. Et si on te publie...personne ne te lit -ce qui est pire. Voici le constat: ton désir des mots au pilori de la désillusion. Au baquet de sciure! Oui, sans doute...Faut-il, pour autant, que tu te tranches les deux mains?  Les deux: s'il en restait une, elle continuerait, l'unique, à faire la crâneuse, pour rien; donc tranche l'unique et sa jumelle.  Ou, faut-il, résolution toute aussi plaisante,  t'arracher la langue? Laquelle, humide de rage, ne se laissera pas faire. Elle fera le gros dos, puis résistera, se contractera, se mettra en vrille; elle ne cédera sa place que, lambeau par lambeau, au règne de la caverne vide, de la voûte sans échos? Tranche, et arrache, puisque l'Autre -qui t'ignore, qui ne te veux pas, qui ne t'attend pas- n'est pas là. Arrache, et tranche, et cent fois, si nécessaire, remets-toi à l'ouvrage. Ampute-toi puisque personne ne t'écoute et ne te lit! L'auto-chirurgie, sans doute pénible est un si magnifique divertissement poétique! Et, vois-tu, ce (mains, langue), que tu te ôtes ne t'invalide pas tout à fait complèrement puisqu'il te reste encore les yeux. Des yeux rouges sang pour imprimer le hululement de tes haines blanches sur les plis de sable de l'incommensurable désert d'yeux qui ne lisent pas et d'oreilles qui n'écoutent pas. Mais... gare aux révoltes du désert. Elles chercheront à te crever les yeux! Et alors..."  (Robert Ledistant.)