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Met Barran
10 juin 2008

LE CHEVESNE AIME LA CERISE

[ "Notre ville est pauvre en tourisme animalier qu'il soit ornithologique ou piscicole. La plupart de ses habitants nuls en la matière, triple zéro pointé. Mais fortement heureusement on en apprend tous les jours, car il y a toujours un Socrate qui fait les cent et mille pas autour d'une place, ou le long d'une rue. Socrate, ce peut-être n'importe qui. Mais un n'importe qui qui sait et qui aime partager avec les autres ce savoir. Socrate, ce peut-être donc un accro des bords de rivière et de la pêche à la ligne. Mon Socrate a la passion de la mouche, le goût de la lecture, la constance de la recherche. C'est l'Incorruptible des pescofis. Et au bout du fil, qu'il a du plonger et tirer du courant des dizaines de fois (on ne ferre pas un poisson d'un seul coup de poignet), il a ramené sur la berge ombragée par une allée de platanes mûriers, un travail aux allures encyclopédiques, une somme de textes, dessins et photographies qui passe outre les propriétés des nations et les frontières des langues. Ce travail que Socrate évoque toujours avec prudence et dit vouloir peaufiner jusqu'à la dernière minute, en fait il n'arrive pas à s'en détacher. Il y restera collé tant qu'aucun rêve audacieux d'imprimeur ou d'éditeur ne l'aura rencontré et aimé. De ce livre -à venir et très attendu- nous parlerons une prochaine fois. Du moins si, entre temps, toutes nos rivières n'ont pas rendu rendu l'âme, et ne roulent plus qu'une fange charbonneuse à force de voir des pollueurs s'y laver les mains. Nous cheminions, Socrate, X. l' un de ses amis et moi qui, de fait, me cramponnait à eux contre leur intime désir, ma présence avait déjà fait capoter une de leurs conversation, et donc je n'étais pas le roi des bienvenus. Nous cheminions à trot de teckel sur un pont, face à l'ancienne Poste. Socrate, soudain, nous intima: "Restez- là, je vais vous montrer quelque chose." L'autre, esprit facétieux en diable,  sourit et marqua un air entendu: il savait. Moi, je ne comprenais que dalle. Ne m'étais-je pas laissé entraîner? Le dernier à entrer en aven ture est le plus mal servi, toujours le paumé. X. en revanche, nourri aux coquelicots de l'humour, crut me rassurer avec une demi confidence, lâchée en sourdine pour sans doute ne pas alerter le landernau:"Tu verras, ça marchera!" -"!!! Mais que fait donc Socrate, là-bas, de l'autre côté du pont", lui demandai-je, "pourquoi se courbe-t-il sous les cerisiers sauvages?" Penché en avant, il remplissait le creux de sa main avec ce qui me parut être, en première appréciation, des billes ramassées du sol, sans se soucier des passants qui cherchaient à l'éviter, le prenant pour un original. Socrate revint vers nous. La victoire portait déjà un toast dans la pupille de ses yeux. Il nous rejoignit la main pleine, et l'oeil acquis à la plus distinguée clairvoyance. Il frotta son ventre contre le petit parapet en ciment et nous invita à regarder en bas, l'eau qui, calmement, se la coulait douce. "Regardez!"répéta-t-il, en jetant l'une après l'autre les cinq billes dont j'avais enfin éclairci le mystère et qui n'étaient que ces cerises naguère appelées "bigarreaux de Céret". Légèrement tapissée de mousses, la rivière -je venais de découvrir son nom, gravé sous mes pieds: "La Basse"- était claire, transparente; ce qui était très surprenant pour un cours d'eau urbanisé de troisième catégorie. Même les lauriers roses s'y miraient en toute confiance, et amélioraient leur fond de teint avant de prêter leurs épaules aux souffles d'un vent qui s'élançait. Ainsi vîmes-nous -mon regard fut à la vérité le tout dernier du tiercé à arriver au rendez-vous et à voir ce qui se passait...On repère plus facilement quand on est préparé, que l'on sait. Socrate et X., eux, savaient. Il y avait une agitation tournoyante que chaque nouvelle chute de cerise provoquait sous l'onde, jusqu'à renifler le fond du lit. Une tribu de chevesnes vivait et, élèves du grand poète, n'attendaient à demain : ils mordaient à pleines dents la douce provende venue d'en haut et ils le faisaient avec une telle voracité que l'on ignorera toujours le sort fait aux noyaux: avalés ou crachés?  "Le chevesne, dit Socrate, en nous renvoyant à un paragraphe de son manuscrit, est un des peu nombreux poissons qui aime la chair des cerises, une sorte de barracuda nain et végétarien... Le chevesne croque la cerise avec un plaisir égal à celui qui aiguise le bec des oiseaux des champs." L'ami de Socrate, qui restera à tout jamais M. X, se rapprocha de moi, me pinça dans le dos et m'asséna cette conclusion vexante d'un vieux Maître: "Aujourd'hui tu auras appris quelque chose de vrai!". Et il se mit à siffloter le temps des cerises. Socrate sifflota avec lui.

C'est au lendemain de cette promenade sur le pont et de la viste aux chevesnes que je compris qu'il me faudrait, dorénavant, me montrer moins dilettante, me faire plus vert et aiguillonner, dans notre ville, un tourisme animalier, ornithologique ou halieutique."]   

(Page empruntée au récit " Mon ami Socrate et sa mouche" de Martin PECHEUR, secrétaire perpétuel de l'Académie du Menu Fretin, préface de Jo Carança, Edition  de L'O vive, 1954)

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