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Met Barran
26 juin 2008

LA CHEVRE ET LE PETIT SERIN

Je sais, cela ne vous paraît guère vraisemblable. Je sais cela ne peut attirer vers moi que l’esprit moqueur de milliers de gorges chaudes ou de centaines nuques rebondies…C’est vrai, moi-même j’aurais peu en douter et foncer subito presto chez non astrologue, si je n’en avais été le témoin direct. Un témoin  parfaitement éveillé et bien mieux que tout ça, une victime. Confrères témoins, faites gaffe si vous ne voulez pas vous trouver dans la mauvaise peau de victimes! Cela ne s’était jamais produit ou plutôt, me reprendrais-je, ici, éloquemment, avec cette prudence scientifique qui m’a toujours valu le respect de ceux qui ne savent pas grand-chose, mais qui, le sachant, n’en démordent jamais, même pas au bord de la fosse commune. Cela ne s’était, par conséquent, jamais produit: du total inédit... et pourtant cette après-midi- là que balayait un vent d’Espagne enturbanné de Siroco ( il n’était guère plus de quinze heures dix), Roger, le tueur en série du roman « La chèvre et le petit serin» de Jimmy Jo (Trust Philadelphie, 1952), qui venait de deviner que je nourrissais depuis déjà une dizaines de pages quelque soupçon à son endroit (Il savait bien  que je le pistais depuis qu’il s’était mis en route, et que je le repérais en dépit de tous les accoutrements et moyens de transport utilisés et, idiot, j’allais l’oublier, cette même crinière rousse mal peignée dont il coiffait toutes ses victimes. Ayant l’intime conviction que je savais que c’était lui, il profita d’un gros point à la ligne pour glisser (voulait-il seulement me fausser compagnie ?) sur la marge gauche de la page et, de là, se propulsa à la souplesse du jeune âge! hors du livre et fondit sur moi, hypocrite lecteur…A mon corps défendant (car un lecteur est toujours à la merci de celui qui le cajole de chapitre en chapitre, le mène par le bout du suspense) il me fit ma fête avec une mitraille d’uppercuts que le bon Cassius Clay n’aurait pas su encaisser. Roger, j’en convenais, venait de me corriger grave. J’étais à terre -et la terre buvait mon sang, le nez en accordéon dégluingué , les yeux dézingués en vadrouille, les joues en mauvais steack (j’écris le mot comme l’aurait fait le grand Will  ou Oscar  Deubleuyou). J’étais ratatiné et sonné. J’entendis à peine mon Roger qui disait : « Je rentre à la maison ». Enigmatique, Roger!  Dix jours après, de retour de l’hôpital « Des Nèfles », je retrouvais sur une chaise basse, une sorte de prie- Dieu de comédie, négligemment abandonné comme par provocation, le roman « La chèvre et le petit serin ». Je l’ouvris non sans une réelle appréhension à cette page 110 -celle de la catastrophe, celle de mon injuste agression, moi pauvre et banal lecteur, adorateur d’histoires sanglantes mais de bonnes moeurs, pourquoi Roger m'avait-il frappé, pourquoi m'en voulait à ce point, je n'avais alors que des soupçons, pas une seule certitude pour le jeter dans la panique- et je surpris le Roger, comme tout nu, en flagrant délit. Ah! Pas beau du tout ce que je vis! Une fois dissout tout le gel qui avait soudainement grippé mon échine, après avoir repris du poil de la bête qui a presque tourné de l'oeil et vomi une semaine de mauvaises collations, je tentais de l’assommer avec le rabiot de petites forces que m’avait fourni l’une des Trois grande Toques de l’hôpital « Des Nèfles » ? Quoique passablement chétif encore, un tantinet brinquebalant, les yeux tout écarquillés par cette mauvaise conseillère qu'est la vengeance, j’allais venir à bout de Roger (l’effet de surprise décuple nos forces, du moins lorsque c’est nous qui frappons) quand tout à coup Jimmy Jo, cet auteur américain de Philadelphie que j’avais un peu trop négligé (on ne se méfie vraiment jamais assez-de tout le monde, surtout de ces étrangers d’outre- atlantique qui débarquent chez vous plus ou moins bien traduits) intervint énergiquement comme parachuté, en m’expulsant de son Histoire. A cet instant je ne savais pas trop que penser de son style : plutôt cavalier, hussard. Ne s’adressait-il pas à moi qui l’avait hébergé à grands coups de pieds aux fesses, et en laissant courir notre Roger à rapides enjambées jusqu’à sa prochaine victime. Je ne retrouverais le susdit Roger que six ou sept mois plus tard. Il avait commis tous ses forfaits (vingt- sept en tout, le vingt et huitième n’ayant pu être homologué faute d’ADN). J’eus à peine le temps de le héler (oui ! héler exactement comme l’on hèle un taxi) pour lui dire tout le feu de ma colère et lui lancer tout fiel ma haine. Je pense qu’il ne m’entendit pas et que je ne réussis pas non plus à tacher son veston Les portes blindées du pénitencier Holly Days se refermèrent brutalement derrière lui et son maigre barda. Maigre comme s’il n’avait pu avoir le temps de rassembler toutes ses vingt sept malles quand il s’était fait harponner (c’est ce verbe précis : harponner, qu’utilisait dans le texte Jimmy Jo). Il avait participé dans sa jeunesse, rappelait un « avis aux lecteurs » à plus d’une partie pêche à la baleine avec le Captain Prébleu.

(De l'Encyclopédie "Fonds de Tiroirs du Roman avantageusement noir et rouge", sous la direction d'Albert Graner Fosc, Editions "Cal de Tot", Manille, avril 72)

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