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Met Barran
25 août 2008

LE DECROISEMENT DES GENOUX

" Comme à mon habitude, j'étais dans l'autocar, assis à l'avant et en sens inverse de la marche du véhicule, c'est là que l'on peut mieux voir les autres. Passagers réels ou concrètement fantasmés. De bref ou de plus long séjour, dialoguant ou soliloquant, tous sur un même habitacle roulant. Telle est cette roulotte à quatre roues! Elle regardai fixement l'extérieur de l'autocar, par sa fenêtre baissée et au rideau tiré, comme pour accréditer une évasion. Son regard, j'en appréciais, de biais, mal l'éclat, poursuivait une sorte de songe, je le devinai à la façon de s'obstiner dans sa course, course qui dérangeait sa chevelure sur sa joue. On aurait dit que sa course venait de s'accélérer, comme si elle craignait de manquer le terminus du songe. Elle n'avait aucun répit. Plus elle courrait, plus sa jupe s'écourtait. Et sa chevelure qui balayait sa joue de commissure de lèvres en lobe d'oreille; cette chevelure qui avait fini par m'accrocher les yeux et qui, à présent, lançait des lianes et faisait des boucles à mon imaginaire, le voulant certainement châtain, souple et doux comme elle;c'est cette chevelure qui me transporta, de glissement en glissement, sur l'un de ses genoux. En fait, celui qui était par -et pour- la décence, élégamment, croisé sur l'autre... Je me rendis compte, une fois terminée mon acrobatie rétinienne, que ce genou m'offrait un côté soleil, lisse et presque étincelant, et un côté ombre, lui bien plus quiet et intimidant. Le jeu d'équilibre et déséquilibre du soleil et de l'ombre, de l'aristocrate et du gueux, auquel je m'engageai tandis que l'autocar traversait la ville et débarquait ou embarquait de nouveaux passagers, me fascina au point de me déstabiliser et de me faire basculer dans un songe. A mon tour je rêvai. Je rêvai sur ce genou, petit côteau de chair et d'os, à moitié réel, à moitié fantasmé, sans savoir si le côté soleil était vraiment celui du réel et son côté ombre, vraiment celui du fantasme. Mais j'avais une fenêtre de tir, rideau déchiré, vitre brisée... et j'attendis la fin de l'arrêt songe, le décroisement de ses genoux, bref que l'autocar freine, que le vrai film commence, et que nos yeux se fusillent de calins volés.BOB LEVOYEUR

in Tous les jours dans le bus, édition "La Coche", Neufchatels, avril 2005, p. 17.

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