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Met Barran
21 juillet 2011

Jonquères d'Oriola

Je n'ai jamais été de l'écurie des Jonquères d'Oriola. Affaire de dynastie bien entendu! Et pourtant l' un de mes plus anciens souvenirs lui est attaché. C'était au temps où j'étais pré-adolescent à Montescot. Il y avait alors entre le domaine qui aujourd'hui porte le nom d'Avallrich mais que nous appelions plus allègrement Belric et le village plus haut-perché de Corneilla del Vercol (nous ignorions alors qu'il aurait fallu écrire Cornellà del Bercol. Les Bassède, Guiter, Ponsich et Portet n'ayant pas encore frappé de leur poing philologique et toponymique sur leur lutrin). Il y avait, dis-je de vastes prairies qui s'arrêtaient à la limite de la voie ferrée et à la gare de Corneilla (et oui ce patelin s'énorgueillissait d' une petite gare, on répète même à l'envi pour semer légende à tout vent, que Dalí y aurait fait lors d'un fameux voyage en août 1965 sans poser pantalon une pause pipi et qu'il aurait graphé sur la porte de ce que les très vieux catalans appelaient "les secretes" un crobard pas piqué des hannetons... mais qu'est donc devenue cette porte géniale? Où, en quel pays s'est marié le crobard au dollar). Et sur ces prairies, je reprends, il y avait à certaines heures, les plus bienvenues de l'été et de l'hiver, des chevaux, des cavaliers, des attelages, du manège. Et de la jambe de champions. A l'âge qui était le nôtre, nous avions fringale de champions comme de chocolat Meunier, ou de quignon de pain bavant de confiture d'abricot. Au pas, au trot, au galop...D'à- peine une quinzaine de mètres, depuis la petite route de Montescot à Corneilla et vice-versa, sous des bouleaux et des peupliers à riches nids d'oiseaux, nous observions les us et coutumes et le hue et les dia du manège. Nos coeurs, à la vérité, en pinçaient surtout pour les chevaux, poulains ou pouliches, ah! ces belles bêtes! Comme nous aurions aimé les approcher d'encore plus près. Pour les caresser, leur causer dans le creux de l'oerille.  Nous rêvions de superbes robes, de crinières fournies, de bonne noblesse tactile. Leurs yeux toutefois nous intimidaient. Et les coups de queue qu'ils balançaient à droite et à gauche (généralement à gauche) à quelques aventuries, nous paraissaient trop cinglants pour nous encourager à tenter le califourchon. Aucun d'entre nous ne savait glisser une selle sur une échine, ou n'était capable de bien caler ses pieds dans les étriers... Mon choix, si on me l'avait demandé, aurait été le tout noir brillant, il volait plus qu'il ne marchait. Quand nous venions les voir, nous savions seulement que c'étaient les chevaux de M. Jonquères. Non pas de celui de Belric mais de celui de Corneilla -son cousin. On en avait sans doute entendu parler. Sur la place de nôtre petit village (quelques deux cents habitants), dans la forge de son maréchal-ferrant, dans l'étable d'un de ses deux laitiers, dans la boutique du boucher- charcutier, dans le café de Georges, qu'est-ce qu'il s'en disait des vérités et des romans. Mais pour nous c'était vrai de vrai, comme les cow-boys étaient les bons et les peaux-rouges les méchants. Nous admirions l'élégance du cavalier (le mot jockey, certains d'entre nous nous le connaissions pas, cé'atait un terme pour La Haute), son bel équipement, sa légèreté sous la bombe (ce mot lui m'était totalement méconnu). Il aimait ses montures. Ne les étourdissait jamais par un coup de cravache folle-folle. Il savait les récompenser dans sa langue hippo-humaine dont nous aurions voulu connaître quelque secrets. Au pas, au trot, au galop. Le noir, le blanc, le roux... Il y avait aussi l'entraînement au saut d'obstacle et ses suspens "passera? passera-pas? il est passé!". Il a bien sauté deux fois, trois fois, quatre fois. Cela valait bien quatre tapes amicales sur le flanc droit. Il y avait encore, nous les enfants nous en avions pour la grande curiosité de nos yeux, l'imposant, le spectaculaire trot attelé. Nous regardions, nous retenions notre haleine, de crainte de déranger le partenaire quadrupède du cavalier en plein exercice. Le tiercé et sa fille, la passion démocratique des courses, n'existaient pas dans ces années-la. Et de télévision, piège au service de la sédentarisation du regard paresseux, il n'y en avait point dans les maisons du village. Je vous parle d'un temps d'avant Zitrone. Marcel Cerdan (notre premier champion) était mort en 1949.  Si l'on voulait du direct, du live comme l'on dit aujourd'hui, il fallait être présent, sur les lieux.  Là-bas donc, dans cette prairie qui nous paraissait aussi immense que le far-west mais bien réelle où les chevaux venaient paître et s'ébrouer réellement. On les entendait hennir et peut-être se chamaillaient-ils ou elles. Leurs cris nous rassuraient. Ils avaient les couleurs de la liberté. Ce serait différent quand on les harnacherait, que le far-west deviendrait cet hippodrome sauvage, surplombé par la haute et belle muraille rousse du château des Jonquères d'Oriola de Corneilla del Vercol, hippodrome pour les privilégiés que nous étions sans le savoir, à quelques mètres de la gare où les trains venus du sud ou venus du nord et bien, sans complexe ni directive écologique, continuaient de siffler trois fois. Nous étions des témoins. Et des témoins de tout; puisque le petit groupe que nous étions ne se montrant pas rebelle n'invitait pas à la dispersion par la force d'un adulte. De tout, dis-je et je répète, les quidams du quartier n'avaient pas la méchante habitude de nous faire fuir comme si nous étions des vulgaires et vicieuses mouches qui cherchaient à atterrir sur le dos des Princes et Princesses du gazon pour mettre leur nez dans leurs affaires. De tout, oui, et de l'affairement sportif et des soins vétérinaires ou para vétérinaires qui étaient apportés aux chevaux. On les essuyait, on les brossait, on les câlinait. Des sabots aux naseaux, rien n'était négligé, ou passé à l'as. On ne disputait pas sur leur quart et bien plus d'avoine ou d'eau. Jusqu'à leurs bouses qui inspiraient le respect. De tout, vraiment, de tout, formidable leçon de choses. Aussi étions-nous capables de ne pas confondre un propriétaire de chevaux avec un maquignon ni un palefrenier (quel joli terme que celui-là!) avec un cavalier. Et à l'époque nous pouvions détailler le harnachement type d'un cheval, mais le temps a grignoté quelques attelles.  A propos, il est temps de vous le dire, ce cavalier, c'était Pierre Jonquères d'Oriola et sa monture -peut-être- Ali Baba. Celle-là même avec laquelle notre ami préféré des chevaux gagna en 1952 (j'avais onze ans) le titre de champion olympique de saut d'obstacles individuel. Nous en avions parlé avec contentement au café de Georges, entre une partie de truc et une initiation à la manille. Applaudissons, mes amis, par devoir de mémoire. je n'ai jamais été aussi proche d'un champion olympique. Salut Monsieur Pierre Jonquères d'Oriola.

C. MOI

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