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Met Barran
19 janvier 2012

Quatre femmes et le soleil

"Quatre femmes et le soleil". Le chef d'oeuvre de Jordi Pere Cerdà (1920-2011) était à nouveau sur scène. Et a été servi avec un rare bonheur. C'était le week-end dernier dans un théâtre de poche, la salle Saguardià, de Nyls-Pontellà. Jacques Cauquil, le metteur en scène de la pièce, était inquiet. Comment serait reçu son travail, présenté quelques mois à peine la disparition du géant cerdan? Il est vrai qu'il n'avait pas relevé un mince défi. D'autant que ces dernières années, du vivant de l'auteur, de très nombreuses mises en scène de la pièce ont été présentées. Dans le texte original catalan, comme dans sa traduction française. Et donc difficile de s'abstraire d'une comparaison. Les orthodoxes du texte plantant leur nez ravageur sur le moindre mot oublié, écrasé ou changé. Les "révolutionnaires" lutinant ou balayant, sinon  le texte (ce serait là un pur scandale), sa mise en  espace, sa dramaturgie, ses artifices décoratifs. Et voici qu'on l'assigne à une résidence montagnarde et paysanne, et voici que l'on voudrait lui donner une transhumance de feu follet. Peu importe que le regard porté sur ces Quatre femmes et le Soleil soit un regard d'homme ou un regard de femme, la mise en scène doit servir à l'épiphanie d'un monde puissamment poétique, mais où aucune métaphysique ne vient damer les pions d'un monde qui est, travaille, souffre, s'aime et se déchire. Avec Quatre femmes et le Soleil on est sur un plateau de cercles concentriques de réclusion familiale, régionale et nationale et de ce cercle encore plus oppressant puisque c'est celui qui enserre le secret (ce secret qui est la fontaine dramatique, longtemps retenue) de la pièce. Le parti-pris de Jacques Cauquil (dont l'expérience théâtrale comme la culture sont amples et solides, ce qui lui permet de jouer aisément du psychologique, du tragique comme du plus léger, disons du sociologique). Cauquil n'oublie pas de dater son action, respectueux de la mémoire, et ce jusque dans les détails de mobilier, d'habillement, faisant entrer ainsi des coloration de quotidienneté vraie dans la maison microcosme. Il date, mais pas pour enfouir le drame (ce que la progression de la pièce va révéler comme noeud dramatique) sous un chromo pastoral passéiste. Il arrache au cliché immobiliste (de certaines lectures paresseuses) les 4 personnages. Ah! ce que Cauquil  les fait bouger. Intérieurement, et dans l'espace domestique, et dans le passage du dedans au dehors, et celui des nouvelles et des risques (toute conjecture de rencontre l'est) du dehors aux fausses sécurités (dont on penserait que l'on doit se blinder pour prévenir toute implosion) du dedans. Je ne voudrais pas caricaturer, ni simplifier mais le metteur en scène nous a sommes bellement plongés dans un solide ballet de caractères, servis par un quatuor de comédiennes qui font un sacré don d'énergie, d'enthousiasme et de subtilité à leurs rôles respectifs. A la hauteur des vécus de leur génération et de la situation que chacune d'elle occupe dans la constellation familiale, observée de façon presqu'entomologique. La mère (matrone autoritaire, jusqu'à la cruauté sentimentale), la fille ("pubilla"), la belle-mère (appauvrie),  la bru (fille adoptée). Chaque comédienne endosse son rôle, ou plus exactement s'en empare, l'occupe, s'y love, le joue, ou plus simplement le montre. Avec son poids de frustrations, de manques, de désirs, d'utopies, d'impatiences et de fragilités. De peurs aussi... Dans le domaine du social, du sexuel, et je dirais même du mystique. La loi, l'interdit, la transgression, la culpabilité...On ne marche pas sans danger sur la terre des traditions, le terrain est souvent miné. Il peut exploser et faire très mal, si l'on ne réussit pas à aller à contre-pente. A savoir: planter l'arbre au soleil afin  qu'il devienne arbre de vie et pas seulement pousse onirique ou, pire, gibet. Un arbre de vie, non pas condamné à des successions hivers, couvert de neige, mais enfiévré de printemps, lorsque justement (exprimé par Jordi Pere Cerdà) dans l'une des plus belles métaphores littéraires inspirées par l'orgasme féminin-l'abre se dépouille de ses virginales froideurs. De toutes les coutures violentes du mater familias. Le grand mérite de Jacques Cauquil est d'avoir par sa mise en scène (dense, articulée, rythmée et dialectique) et sa "direction" avisée et appuyée des comédiennes, est d'avoir mis en lumière et révélé au public la complexité des êtres et les buissons de thèmes contenus dans l'oeuvre. Il est aussi d'avoir donné de l'étoffe totémique  aux personnages masculins absents-présents. Il est encore d'avoir fait dire le texte par des voix de talent. Des voix qui, ce dernier week-end, ont réussi a captiver,  deux heures durant sans interruption, par la clarté et la beauté d'une langue  (pas un toussotement, pas un raclement de gorge, pas un crissement de chaise!) un très nombreux public dans le si chaleureux et bienvenu théâtre de poche de Nyls. Ces "Quatre femmes et le soleil" de Jacques Cauquil (dites-le autour de vous et tirez, si besoin est, l'oreille de professionnels revêches aux choses locales)  doivent tourner le plus possible pour prouver que le bonheur théâtral s'habille aussi sur son trente et un  en Catalogne nord. [La veuve de Jordi Pere Cerdà, les enfants et petits-enfants du poète présents, comme ils étaient fiers de cette création. Un beau geste de reconnaissance et d'amour.]

xxx

 
 
 
 
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