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Met Barran
16 novembre 2013

Le frac d'Elias Canetti et plus

Nous sommes à Stockhom, le jour de la remise des prix Nobel...

(...)" Il y avait en tout dix récipiendaires du prix 3 en physique, 2 en chimie, 3 en médecine, 1 en littérature et 1 en sciences économiques). Pour la remise du document et de la médaille par le roi dans la grande salle de concert, nous avons dû (comme tous les autres assistants) revêtir un frac. J'ai donc porté un frac pour la première et unique fois de ma vie, et je ne me suis pas senti gêné aux entournures ainsi que je me l'étais imaginé. Au moment de la remise, toute l'assistance se lève devant celui qu'on honore, et cela est très impressionnant. J'ai donc assisté dix fois à la scène et l'ai vue également se dérouler pour moi-même: tout le public -qui réunit des gens de tous horizons- s'incline, non pas devant la richesse, devant la noblesse et pas non plus devant un simple chef d'orchestre, mais réellement devant l'esprit. Je dois dire que cela m'a beaucoup ému-en particulier s'agissant des autres récipiendaires, mais également s'agissant de moi. Au banquet, plus tard, à l'hôtel de ville, j'ai tenu un très bref discours en allemand dans lequel j'ai cité les quatre noms qui ont le plus d'importance pour moi à Vienne et qui auraient avant moi mérité le prix: Karl Kraus, Kafka, Musil et Broch -encore que pour Broch je n'en suis pas si sûr, mais je n'ai pas voulu le dire. Ainsi les Autrichiens ont pu voir que mon prix couronnait leur littérature, ce qui est conforme à toute mon évolution en tant qu' écrivain. Car officiellement, j'étais placé sous l'égide de l'ambassadeur de Grande-Bretagne en tant que citoyen britannique" (...)

Fragment d'une lettre de Zurich, en date du 16 janvier 1982, adressée par prix Nobel 1981 de littérature, Elias Canetti (1905-1994), à  son amie et peintre Marie-Louise von Motesiczky (1906-1996). Ce fragment de lettre est emprunté à Amant sans adresse, titre d'un très précieux ouvrage qui rassemble la correspondance de 1942 à 1992 entre Elias Canetti et Marie-Louise von Motesiczky (apparentée à Théodor Adorno et élève de Max Beckmann) (358). Le premier affctueusement appelé "Pio" -et signant parfois "Piolein", la seconde bénéficiant d'un nom moins affecteux "Muli" -pour la femme- et "Mulo" -pour le peintre. Bellement traduit de l'allemand, postfacé et bien annoté par Nicole Taubes, c'est un très copieux et instructif document publié chez Albin Michel et versé à la connaissance de la vie d'un grand (et complexe) couple de créateurs du XX° siècle mais aussi plus largement de l'histoire de la littérature et de l'art européens. On y croise, entre autres personnages de premier plan, Olda et Oskar Kokoschka et l'on y apprend -c'est dans une lettre de St-Hilaire du 7 avril 1948, et p.43" du livre l'admiration de Canetti pour Stendhal:

(...) " Je suis arrivé à Grenoble hier tôt le matin; comme ma correspondance n'était que l'après-midi, j'ai visité la ville dont la situation rappelle celle de Salzbourg. J'ai pris le funiculaire pour monter au "Haut-Salzbourg" local. Quand je suis redescendu à pied, un chien m'a mordu à la jambe, assez fortement pour me faire un accroc dans mon beau manteau américain. J'ai demandé aux rencontrés dans les cafés et dans les rues où se trouvait le musée Stendhal; Grenoble est la ville natale de Stendhal; personne n'a pu me renseigner. C'est là toute la gloire d'un grand écrivain, le plus grand que la France ait jamais produit. En suite, j'ai découvert sa maison natale, dans une vieille ruelle étroite qui porte le nom de Jean-Jacques Rousseau; je me suis arrêté longtemps plein de vénération devant cette maison. Je sais que ru trouveras cela un peu ridicule et sentimental; mais à qui dois-je rendre un culte, sinon à mes grands ancêtres. Il m'est interdit d'adorer les dieux; parmi les vivants, sincèrement, je ne vois pas qui; mais les ancêtres, Stendhal et Gogol, je les admire du plus profond du coeur, et le lieu qui les a vus naître ne saurait m'être indifférent". (...)

Et de la plume de Marie-Louise (à son "Cher Pio") cette confession d'artiste (p.366):

"Pour moi une difficulté majeure est, et a toujours été, que le "vivant" -c'est à dessein que je ne dis pas la nature- doit m'appaeaître comme à mi-chemin de l'image. Même une chose que j'invente, il faut que je puisse la voir. Je ne peux faire vivre les petits détails par la seule imagination: c'est quand je peux poser les yeux dessus qu' il se passe quelque chose -et même su je ne le vois pas, je trouve la clé, c'est pour ainsi dire une question de vie et de mort. C'est pourquoi tant de choses m'échappent de ce qu' en fait je pourrais peindre merveilleusement, ou encore elles ne sont plus là et disparaissent dans le fleuve de la vie. Pour toutes ces choses, il est tard, beaucoup trop tard. Et pourtant, je continue. "

A lire. Lire ne fait pas grossir. C'est un addicte qui parle!

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