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Met Barran
23 novembre 2013

Rue des Cytises.

Désir de promenade. Tu es en ville, dans sa périphérie, tu aimes bien ces zones nouvellement urbanisées, ces conquêtes sur la campagne,  champs ou vignes. C'est une jour de fin d'automne, une clairière ensoleillée, mais prévenant tu enfile un vêtement pour ne pas être pris au dépourvu si la bise, tout à coup, te sautait au cou. Bien harnaché, tu adoptes ton pas mi-course, celui que tes mollets et tes poumons aiment bien. Te voilà parti, une sorte de badine à ta main. Pour dissuader les chiens, disperser les serpents, remuer des mottes ou des monceaux de terre qui peuvent apparaître suspectes au cours de ton excursion qui, fatalement, vira à l'inspection. Tu es sur une grosse voie de circulation en double sens, c'est une longue avenue de ta ville, l'avenue Dalbiez pour ne rien dissimuler de ce texte qui, cependant, n'est ni un compte-rendu de balade, ni un rapport d' inspection, tu tournes sur ta droite, et en tournant tu t'aperçois que soleil juste en face de toi, cligne comme pour te dire "tu as bien fait", le soleil donne l'impression d'avoir un faible pour le marcheur, le randonneur et autre rôdeur. Tu es engagé dans un quartier que tu ne connais guère, avec beaucoup de maisons d'un bâti plutôt récent que relevant du statut de la vieille pierre. Quelques unes paraissent même avoir été inaugurées l'avant-veille. Leur architecture, qui n'est ni de tour ni de barre -ils on trop donné dans ces histogrammes- te rassure ainsi que les formes des rues droites, bien tracées, mais nullement jusq'à l'infini, et que tu constates assez larges et bien entretenues. Cela revêt une allure très sympathique ce qui encourage ton allant, tu progresses et tu tombes, façon de parler: je veux dire que tu lis, correctement orthographié, et sans fioriture graphique en céramique: "rue des Magnolias". Tu y es. Ce que tu espérais est là. Tu vas pouvoir, maintenant que tu t'es débarrassé de tes lourdeurs de topographe,  renifler, humer, respirer comme un oiseau, un poisson. Bien que ça ne se soit jamais éventé au-delà de ta chambre à coucher, tu aimes les magnolias. Tu les aimes,  même lorsqu'ils ne sont pas du rang de ces majestueux centenaires croisés lors de tel ou tel voyage, même s'ils ne sont pas en fleurs royales-ah! la fleur de magnolia!.. Bon! passons, ce n'est pas la saison. C'est vrai, celui qui lit "rue des magnolias" dans un quartier neuf, des garages aux paraboles, sait qu'il y aura plusieurs autres rappels du monde végétal, ce monde auquel l'excavatrice et la bétonneuse ont fait rendre gorge, ou réduit à sa portion congrue d'espace vert, de massif herbeux, de placette arborée...Mais là, où tu te trouves, en ce moment privilégié, où tu souris à le remarquer et en soulevant d'aise ta badine, le monde végétal semble avoir tenu bon, il ne survit pas chichement, oh! certes ce n'est pas le plein champ et ses avoines folles ni la luxuriante et profonde forêt, mais, néanmoins, tu respires bien, et le soleil qui, par un trait discret de son arbalète, a attiré ton attention se montre satisfait de toi: aucune ombre ne vient friper son beau front, il te sourit. Et voici que cette "rue des magnolias" (Mais que sont magnolias devenus!), hier tout-à-fait inconnue, te mène par le jeu orthogonal des plans de lotissements, à une "rue des Cytises", tout aussi inconnue hier,  et là, tout à coup, un point de démangeaison s'enracine sur le bord imberbe de ton menton et tu te demandes "Cytises?... Mais qu'est-ce donc?". Tu n'arrives pas à savoir de quoi il s'agit, et ton portable, relié directement à tous les savoirs du web, tu l'as oublié comme une paire de gants en hiver ou un briquet au temps où tu fumais, chez toi, à l'autre bout de la ville, sur ton four micro-ondes dernier cri. Te voilà en arrêt, devant cette plaque de banale voirie, tel Champollion, sec, devant son premier hiéroglyphe. Tu regardes, autour de toi, et dans ce secteur, même si c'est loin d'être la rase campagne, pas grand monde ne traîne dans la rue pas même un rat ou une hérissonne, et pourtant tu aimerais tant, converser avec un habitant du lieu, devant les garages il y a quelques autos. Mais ta légitime interrogation sur les Cytises se voit vite effacée par la "somptueuse découverte" (c'est l'expression qui se fabrique dans ton for intérieur, sans peur de  faire dans l'hyperbole). Sacrée découverte! Une découverte comme celle d'une oasis par le premier pèlerin dans un désert ou celle d'un chou à la crème le dernier jour d'une quinzaine de diète. La belle découverte! Sur une seule rangée, du côté droit de la "rue des Cytises", ils sont treize...toutefois le piètre botaniste et forestier que tu es souffre, jusqu'à en claquer des dents, à reconnaître l'espèce comme la variété du quidam à écorce et rameaux, ni nain ni géant au demeurant, de fort belle taille, solide sur son tronc à l'agréable contact, avec un riche bouquet de branches ordonnées par un professionnel de la coupe de cheveux, et pourvu d'un feuillu élégant, dense et vert, que la tramontane aimerait prendre dans ses bras, mais fouchtra! cette après-midi la diva tyrans-pyrénéenne, n'est pas préposée au bal, dispensée de valse et de hip-hop. Alors, qui sont-ce que ces Cytises? En vérité, ce ne sont pas des Cytises (Que sont Cytises devenus?). L'ignorant que tu es, et que tu aurais du veiller à ne point être ton âge canonique atteint, aperçoit une résidente sortir d'une villa -elles se ressemblent toutes mais ce qui distingue celle-ci c'est précisément la personne qui en sort et s'affaire à pousser quelques débris papiers avec son balai (vieille ruse de l'espionnage? ou servitude journalière?), tu vas vers elle et tu l'interpelles "Dites-moi, madame, ou ma chère dame..." La chère dame ne s'en laisse pas conter, elle tend l'oreille certes mais ne porte pas, automatiquement, le regard sur toi, comme si ta voix l'avait aimantée, qui est donc ce larron, doit-elle questionner, employé de quelque agence immobilière, ou pire. Les poils de son balai amoncellent des papiers, comme si de rien n'était. Tu réitères ta demande et, abrégeant l'attente de la réponse, tu te présentes: tu es un piéton urbain mais curieux des choses de la nature et souvent étonné.  "Dites-moi, madame, -tu as éliminé "ma chère dame", parce l'expression a un air de familiarité ou de comédie qui ne se justifie pas- ces jolis arbres, comment les appelez-vous? La destinataire de ta demande daigne arrêter son geste de balayeuse. Ton insistance l'a remporté: convaincue, "il m'a l'air simplement perdu, le monsieur", elle s'approche de toi, vient à ton aide, et charitable parmi les charitables, te répond, sans t'affiger de sa supériorité de femme qui, elle, sait, "mais, voyons, mon cher monsieur -oui! elle te dit réellement "cher monsieur"- ce sont des Micocouliers". Voilà, elle a tranché, ta badine nerveuse a touché trois fois le sol, et tu constates qu'elle, la balayeuse pas la badine, ne veut pas aller plus loin. Elle n'invite pas au développement. Ayant dit ce que tu attendais -sinon tout ce que tu aurais voulu qu'elle dise- elle retourne à sa tâche sans attendre que tu la remercies de t'avoir communiqué (une partie de) sa science, elle pousse encore le balai (pour avoir, dirait-on une contenance qui ne lui est pas nécessaire) puis rentre chez elle, et toi tu restes au pied d'un micocoulier, à la fois penaud (tant de connaissances nous font défaut!) et admiratif: cette ligne verte d'arbres majestueux, tous du même âge et de semblable "physionomie". Tu vois, élevant ta vue vers ciel, que le soleil qui s'apprête à entamer sa décroissance que l'on aurait tort de comprendre comme un déclin, est fier de te voir ému. Une voiture de couleur noire stationnée au devant d'une villa, sur l'autre côté de la rue, démarre en sourdine. Son chauffeur (tu vois quand elle te passe presque sur les pieds que tu retires, heureusement, à temps) qu'il s'agit d'une dame inconnue, entre deux âges, le visage assez sévère, les lèvres sans rouge et à la conduite un peu nerveuse, au volant). T'avait-elle espionné, ou pris pour un placeur d'assurance ou de calendrier, pourtant, exceptée ta badine rien n'embarrassait tes mains, ta taille ou ton épaule? Tu as fait trois fois allers-retours dans la"rue des Cytises", deux fois en longeant la perspective arborée, comme si tu l'étalonnais; la troisième, t'en délectant, comme si tu passais en revue les treize au garde-à-vous, dont pas un rameau ni une feuille ne bronchait. Simple remémoration de souvenir militaire? Ou plaisir véritable, emplissant le coeur? C'était un véritable bonheur visuel et chlorophyllien, et cela seul te récompensait de ta longue marche. Tu te vois regarder une ultime fois, en direction du soleil, comme pour un au-revoir, et ton regard se baisse et s'attache à poser les limites de ce petit théâtre de rue. Au sud, la rue tope sur une barrière avec des lattes blanches et une haie de roseaux, qui double, de l'intérieur, une murette en béton clair coiffée de tuiles canal rouges et un petit portail et une porte en fer sans art ferronnier manifeste. Puis tu tournes le dos au soleil, qui file vers son hôtel dont il ne sortira qu'en jouant à l'aube qui se fait aurore, et, à l'autre bout de la rue, au-devant de toi tu remarque un grand portail entrouvert donnant sur une propriété qui possède (ton audace soudaine t'a entraîné à l'intérieur de cette "propriété privée", c'était écrit sur un pan de mur, et sans faute) et garde jalousement quelques hauts platanes. Mais tu as beau aimer les platanes, ceux que tu vois et que tu examines avec un tact de stéthoscope (l'angoisse de la maladie qui fait mourir les platanes, costauds ou gringalets!), et bien non, ces plantes, ils n'ont ni la noblesse, ni la sensualité, ni la beauté de ces treize "Micocouliers". Les 13, de cette bien mal nommé "rue des Cytises". Cette rue aurait mérité de figurer sur le plan guide de ta ville avec l'appellation "rue des Micocouliers". C'est ce que tu te dis sur le chemin du retour, en pressant le pas, ta badine sur l'épaule gauche. Trop contemplatif, tu n'as pas vu les aiguilles tourner.

Petrus de Montescopio.

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