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Met Barran
28 juillet 2014

La guitare andalouse de François de Fossa

François de Fossa, jeune royaliste français émigré en Espagne après l'exécution de Louis XVI est à Cadix,.prêt à embarquer pour la Nouvelle Espagne ( Mexique), dans la suite du nouveau vice-roi Miguel Joseph d'Azanza et aux côtés de ses amis (tous relations de sa sœur Thérèse qui elle vit  dans leur ville natale à Perpignan). Si  son embarquement s’était fait sans problème, sans doute ne saurait-on rien aujourd’hui de son activité guitaristique gaditane, andalouse. Mais, voilà nous sommes en 1797/98 : Cadix, Puerto Santa Maria, etc sont pris dans le « blocus anglais ». « Cette dernière (l’Angleterre), maîtresse des mers impose en effet, un blocus maritime au port de Cadix et interrompt ainsi les liaisons commerciales entre la métropole et ses colonies." (in Les commerçants français de Cadix à la fin du XVIIIe siècle par Arnaud Bartolomei). Ainsi le navire, "le Monarque",  qui doit conduire le vice-roi à bon port à Véracruz est contraint au mouillage. Bien au-delà de quelques heures, bien des jours et des mois.. Cadix sera bloqué par la flotte britannique durant presque quinze mois, entre 1797 et 1798. « (A)vec l’Excellent Général (il s’agit de l’amiral Massaredo) que nous avons, pour faire danser la carmagnole à ces olibrius et fanfarons d’Anglais. » fanafaronne François dans une lettre à sa soeur (Lettre 14 avril 1797). Le blocus est là, et se prolonge, il faut bien s'occcuper dans l'entourage de Miguel Joseph d'azanza. Comment nos « immobilisés » de Cadix passent-ils leur temps? Sont-ils actifs, mais en faisant quoi? Sont-ils désoeuvrés et livrés à eux-mêmes? Bien que dans sa correspondance, il ne soit pas très expansif sur ses faits et gestes dans le port andalou, François de Fossa nous en dit suffisamment pour nous apprendre  qu’il a "enfin trouvé un ami tel qu'il me le fallait; c'est un jeune homme de la suite du vice-roi, grand ami de Cia, rempli de talents et d'une douceur angélique. Il m'a mis dans la tête d'apprendre l'anglais, et j'y travaille depuis quelques jours." (Lettre 20 fevrier 1797). Mais il y a plus et mieux pour quelqu'un amateur de musique et de guitare. A Cadix, François achère une guitare. Et, nous connaissons même le prix, grâce à un relevé de dépenses qu'il donne dans une lettre du 9 mai 1797. Cela fait alors  près de quatre mois qu'ils attendent de monter sur "Le Monarque". La lettre précise qu'il a fait l'"achat d'une guitare pour 8 dourous". Ce que nous ne savons pas, c’est si cette guitare gaditane s’est ajoutée à la guitare que possédait déjà m'émigré perpignanais, ou bien l’a remplacée. Cadix était une ville déjà fort réputée pour sa lutherie et la fabrication de guitares. Les histoires de la lutherie montrent que les frères luthiers José et Juan Pagés y sont en pleine activité de 1790 à 1819 [ Fossa  sera à Cadix  de janvier 1797 à début avril 1798), et tout aussi important que les Pagès, José Benedict, certainement ce  "Benediz" que citera plus tard Fernando Sor [1778-1839].» La guitare ne doit donc pas manquer de compenser l'"arrêt du temps" du au blocus. Une lettre du Ier août 1797 le prouve: qu'il n'est pas entièrement désoeuvré  (...) je continue à m’occuper comme auparavant et ce qui me fait bien plaisir c’est que le viceroi semble m’employer plus particulièrement à moi qu’à d’autres pour copier des  lettres ministérielles de conséquence et dont la plupart exigent le secret. » Dans une autre lettre, cette-fois, de Puerto Santa Maria en date du 18 août 1797, il confie à Thérèse Fossa: "Le soir après la siesta je vais passer un moment chez de très aimables demoiselles+ que le bombardement+ a chassé de Cadiz tout comme nous. Elles sont filles d’un commerçant irlandais établi depuis son enfance dans ce pays-ci, et elles joignent à une très bonne éducation, les charmes de la beauté et les agréments de l’esprit. Cette maison et celle d’autres demoiselles dont la maison est continue à la nôtre, ce sont les seules que je fréquente dans ce pays-ci et la société aimable de toutes ces dames+, me dédommage un peu de l’ennui d’être si longtemps à partir pour notre destination. » Qui sont ces demoiselles? Ces filles de la baie andalouse, ces belles de Cadix -avant l'heure de la chanson. La correspondance nous l'apprend. Ce sont les sœurs Lynch & Waughan ; et les sœurs d’Onieba. La (nouvelle) guitare qu’il a achetée a-t-elle été l’instrument majeur de séduction d'un soupirant mué également en poète ? François (jeune homme de vingt-deux ans) aura une liaison amoureuse successivement avec Vicenta d’Onieba et Jeannette Lynch"et il est assez original que n'ayant jamais pu tirer de ma tête quatre mauvais vers en français j'en fasse d'espagnols assez passablement" écrit-il de Puerto de Santa Maria le 29 septembre 1797. La guitare apparaît comme l’une de ses principales préoccupations: "la plus inutile des miennes [dépenses] est celle que je destine à l'entretien de ma guitare et qui se réduit à des cordes, papier de musique & et je ne regarde pas comme mal employé l'argent que j'y dépense, vu que c'est mon plus grand amusement et que c'est une diversion aussi utile qu'honnête et qui tient lieu de beaucoup d'autres moins décentes", toujours de Puerto Santa Maria mais le 8 octobre 1797). La guitare qui, dans un contexte de blocus militaire, joue une double fonction d’amusement (de passe-temps) et de diversion (penser à autre chose), ce qui d'ailleurs qui semble avoir été la fonction que la musique avait pour lui. Une troisième, bien sûr, étant de l'emplouyer à conter fleurette. L’amour est sa grande occupation: « Malgré ce que je t'ai dit de mesdames les Andalouses je passe ordinairement ma soirée à faire l'amour avec une brunette qui réunit dans sa personne tous les défauts et tous les agréments qui caractérisent les femmes de cette Province; mais je te dirai que l'amour a eu moins de part que l'amour propre à cette conquête."( Puerto Sta Maria, 24 octobre 1797). Il arrive même à ce féru de la conquête féminine, ce Don Juan gaditano-perpignanais, de souffler la dame de l'un de ses camarades, "le neveu de Laborde", exploit dont il se vantera épistolairement à sa soeur. Pour différentes raisons, l'intérêt de François de Fossa pour la guitare n'est pas seulement anecdotique. Fossa en joue sérieusement et assez fréquemment. "Nous sommes dans la maison quatre ou cinq amateurs de violon et de guitare et nous nous amusons assez souvent à exécuter des duos et des trios qui sont tout du goût du vice-roi qui aime beaucoup la musique. Ce dernier nous a présenté dernièrement dans une société de cette ville où l'on reçoit tout ce qu'il y a de mieux: le Prince de Monfort et le marquis de Moncade son frère y vont journellement. Il y a dans cette maison musique complète deux fois par semaine et j'y ai exécuté samedi passé (le 21 octobre 1797) un trio concertant de violon, guitare et basse qui m'a attiré les applaudissements de toute l'assemblée. Je dois pourtant avouer que la qualité de familiar de vice-roi a plus contribué que mon habileté à me les mériter. Quoi qu'il en soit le sus dit trio été tout du goût des dames qui m'ont prié de leur en faire souvent entendre de pareils   (Lettre 25 octobre 1797 (C’est un mercredi). Ce fragment de lettre est capital pour quiconque veut reconstituer l'étinéraire musical de François de Fossa. Comme le suivant: "Une fois la semaine seulement le samedi depuis huit heures du soir jusqu'à dix et demie je vais au concert duquel je t'ai parlé ou je joue de temps en temps des trios et des quatuors de guitare, violon, alto et basse, j'y vais par rapport à la musique et parce que le vice-roi le veut"..."L'étude, la musique se partagent tous les moments de mes journées." (Puerto Santa Maria, Lettre 18 janvier). Le jeune homme paraît assidu à ce lieu : " demain, samedi, jour de concert, je verrai le Prince de Montfort (Puerto de Santa Maria, le 16 février 1798). Sans doute, plus tard, en 1807/8 sera-t-il surnommé à Madrid, le haydn de la guitare, sans doute mais, il est utile de retenir ces dates de 1797 et 1798 à Cadix et Puerto Santa Maria comme les vrais débuts (documentés et par François de Fossa lui-même) du musicien face à un public. Des débuts andalous!

A Puerto-Santa Maria (à l'abri des bombardements de Cadix), François s'adonne aux jeux de l’amour et du hasard avec deux jeunes filles  l’une « pas du tout coquette » (Vicenta), l’autre « coquette et folle à l’excès » (Jeannette/Jane/Juanita), dit-il dans une lettre et dans une autre qui lui postérieure, il joint cetet précision « c'est vouloir  comparer le jour à la nuit, l'or au clinquant, le diamant à une pierre brute, &&. (20 mars 1798). Il n’y a donc pas photo dirait-on aujourd’hui. Lisons-le: « Je fus dernièrement dans une société où je rencontrai une jeune demoiselle qui est remplie de talents et entre autres celui de parler avec quelque perfection la langue française; et qui seroit en un mot un chef d'oeuvre si elle ne ternissoit ses bonnes qualités en étant coquette et folle à l'excès. ce fut là l'objet que je choisis pour dépiter, ennuyer et rebuter l'autre.( Vicenta d’Onieba) je lui contai fleurette toute la soirée, je composais des couplets en son honneur en français et en espagnol, et j'en fis en un mot plus qu'il n'en falloit pour venir à bout si j'avois eu à faire à tout autre qu'à celle que j'adore ». François la retrouvera "dans le courant du carnaval à une demi-douzaine de bals; dans le premier le hazard me procure le plaisir de faire connoissance avec une jeune demoiselle que j'avais déjà eu l'occasion de voir quelquefois dans la maison où se tenoit le concert duquel je t'ai parlé maintes fois. » Données précieuses, ainsi que cette dernière qui nous parle de « son tuteur qui est le maître de la maison où se tient le concert » (20 mars 1798). La relation avec Vicenta tournera cour. Celle avec Jeannette aura des lendemains, mais qu ne seront pas tous chantants.

La musique et l'amour, voilà  de quoi François de Fossa nourrit son attente de prendre le bateau pour un nouveau-monde. Lui, émigré français en Espagne qui, pour pouvoir aller au Mexique, doit se faire passer pour un "catalan de l'ampourdan" pour ne pas éveiller le soupçon d'un accent particulier dans l'usage de son castillan, lui qui n'a guère de sympathie pour la Catalogne. Finalement, l'embarquement a lieu, le bateau est mis à la voile. Cap sur Véracruz! Guitariste sur terre François de Fossa le reste sur...l'eau, sur "Le Monarque".  Une lettre le confirme : "Notre principal amusement à bord, ou le seul pour ainsi dire, est de faire de la musique; nous avons pour cela tous les moyens possibles, car nous avons des amateurs de violon, d'alto, de flute, de basse et de guitarre. Le vice-roi en est on ne peut plus satisfait et nous charmons aussi les ennuis de l'embarcation." (3 avril 1798). Dans ces lettres depuis  "Le Monarque", il y a une autre allusion à la guitare (qui nous en révèle une autre fonction) : « Les gens du métier disent que nous l'échappâmes belle, mais moi qui ne connaît point le danger j'étais si loin de croire que nous étions si près d'aller voir les antres de Neptune  (aller au fin fond de la mer), que j'étais à pincer la guitarre fort tranquillement   lorsque tous les matelots étaient à invoquer tous les saints du paradis et à faire des voeux qu'ils n'auraient certainement pas pas tenus parce que comme dit l'italien : « Passato il pericolo, gabbato il santo. ». Belle image préromantique que celle du joueur de guitare au milieu de la tempête..De son séjour au Mexique, sa correspondance ne donne pas d'informations musicales.

(à suivre, peut-être)

xxx

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