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Met Barran
19 mars 2015

CHICHORRO A CANET (66 000 P.O.)

S'il est un lieu d'art dont les cimaises sont braquées sur l'art de région, c'est bien la galerie des Hospices à Canet en Roussillon. Le catalogue des expositions présentées au cours de ces dernières années en est la preuve la plus patente. Lieu passant comme il est, entre Perpignan et les plages, elle ne pouvait se démettre d'un tel privilège. Prochaine affiche: Mario Chichorro. Pas moins! Voilà un créateur phare et il.lustre de notre région. Inscrit dans son paysage artistique comme il n'en est peut-être pas d'autre. Présent, sans être omniprésent, ni hausser le ton, en instances d'amour ou provocations par dédain. Toujours à sa place, humble et passionné poète. Reconnu localement et en de précieux coins d'Europe. Ne comptons plus les décennies d'activité mais soulignons que, parmi nous, il a développé une oeuvre de peintre et de sculpteur, ou de sculpteur de la peinture (pénibles sont les étiquettes toutes-faites) à la fois fidèle à quelques fondamentaux, relevant des techniques aussi bien que des structures de l'imaginaire ou des "motifs" que l'histoire de l'art des peuples a façonnés. Chichorro ne minimise rien. Des fondamentaux, tels des socles, sans cependant aucun déni des sollicitations du moment.

L'artiste peut-il se sentir vivant s'il fait fi du tout canon et de la saison où il respire. Le canon ne serait-ce que pour le chatouiller et lui "voler dans les plumes", au besoin. La saison sans en ramasser toutes les feuilles ou en cueillir les fruits. C'est que l'art est du côté du jeu, du délire, et il veille à ne jamais se laisser attraper par des rationalités gendarmesques. Mario Chichorro, sage parmi les sages qui ne se sont jamais laissé mettre la bride sur le cou, avec ses premiers bagages lusitaniens et des provisions acquises, en d'autres territoires et sous d'autres climats, traverse et fomente des styles avec la liberté d'un passe-murailles, qui traverse cloisons et plafonds, se pose, là où il est bien, s'y enracine (plus rhizome qu'arbre), y fait éclore des géographies iconiques données en partage, mais sait, ensuite (répéter n'est bon que si l'on s'autorise l'écart!) se détacher et s'envoler -ce maître en imagination qui s'appelait Marcel Proust, aurait dit "se décoller".

Reconnaître, faire siens des pays en papier et en bois, tracer ou creuser, peupler des territoires (des tableaux, des dessins, des reliefs), les peupler par des motifs aux formes plus ou moins cernées et colorées. Les tatouer pourrait-on oser pour récupérer une mode au vol. Être là, acteur et témoin de ses conquêtes. Parfois un fragment, un visage, un pied suffit (souvent d'ailleurs accompagné d'un pied de nez à l'orthodoxie des représentations, d'avant ou après Euclide). Quelquefois, il a besoin d'une silhouette, d'un phénomène pour marquer un ancrage temporel, anthropologique, stylistique, "païen" ou sexuel. Chichorro est avant tout un assembleur (et il y a en lui du mosaïste et du verrier). Fasciné, consciencieux, amoureux, inquiet, révolté, il met en plis et pages, il décompose et compose au gré de sa fantaisie (je tiens à souligner cette modalité de son exerce plastique), et les univers de ses tableaux se contrefichent de tout naturalisme ou réalisme pour s'adonner à une balade buissonnière (mais balade d'un homme de culture et d'expérience, qui connaît les vertus du "voyage immobile" d'un Pessoa autant que le "souffle épique" du grand Camoëns et pratique l'escarmouche iconoclaste par le truchement de l'humour et de l'ironie). Notre artiste, attardons-nous sur ses tableaux, n'est pas un adepte de la glisse ou du surf, ses planches ont de la profondeur, ne nous laissons-pas tromper par leurs surfaces, soyons attentifs à la dialectique de ce qui est montré ou non montré, de ce qui se trouve sur les bords, bords-limites (à ne pas dépasser), bords-seuils (à franchir). Chichorro ne remplit pas, il n'occupe pas un, des espaces délimités par son support, il "construit" un lieu et le fait vivre. Sans doute, ne vit-il vraiment que lorsqu'il touche le visiteur, celui qui regarde.

Peindre est une aventure et Mario Chichorro, notre imagier populaire baroque, ne cesse de nous le montrer. Sans necessité de glose ni de contre-glose. Son oeuvre est le récit en mille et un, et deux, et trois...mais ce n'est pas fini...chapitres. Un récit qui n'est pas toujours ordonné, avec une logique molle ou dégingandée. Un récit insensé (comme peut en donner l'impression toute architectonique surréalisante) mais volontairement falsifié. Le "dévidement" de l'intention plastique, de la pelote que cette intention de fait recouvre, a horreur -nous exagérons un peu, puisque nous ne savons pas précisément ce qui se passe-de tout code routier. Ce que l'on prenait pour des arrêts ce sont des départs et ce qui paraissait bien fixé est flottant et tournant (comme lorsque l'on ferme les yeux et que l'on se laisse griser par tout ce qui tourne dans notre tête, paupières baissées. Ne pas avancer! Chichorro ne craint pas le "tourner en rond". Ne se plaît-il pas (en tout cas, la joyeuseté de certains de ses tableaux invite à le croire) à avoir la tête retournée par le retour du souvenir, le poids de l'empreinte, la tentation du désir (à travers un saut-de- mouton fantasmatique), le souffle de l'utopie (mise à mal par les obstacles du parcours du combattant auquel tout être vivant, guerrier ou pacifiste, est engagé), et le mirage de tant de queues de comètes insaisissables. C'est un peu de tout cela que Mario Chichorro apporte aux visiteurs de son exposition à

Galerie des Hospices, av. Sainte-Marie, Canet Village

Vrenissage ce vendredi 20 mars à 18 h

L'exposition restera ouverte au public du 21 mars au 13 mai 2015. Entrée libre.

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