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Met Barran
1 juillet 2015

Une histoire de bottes

Sa jeunesse, il la voyait bien s'éloigner de lui. De plus en plus.  Mais il eut une présence d'esprit qui lui fit croire qu'il pouvait, encore, la rattraper. Comme si la perte pouvait être négociée, ralentie, retardée. Il tenta sa chance après un rapide calcul, tant de mètres -il les compta par centaines- le séparaient d'elle. C'est jouable se persuada-t-il. Il allait démarrer, comme l'on disait, en trombe quand il aperçut sur le bord droit du chemin une paire de bottes. Des réminiscences scolaires lui permirent de les identifier, immédiatement -il ne pouvait d'ailleurs pas se payer le luxe de perdre inconsidérément du temps-comme étant des bottes de sept lieues. Voilà ce qu'il me faut, il  se saisit des bottes et y glissa, sans erreur, chacune de ses jambes. Il les sentit bien calées et à la fois à leur aise. Non ce n' était pas une illusion, mais un beau geste de la providence. Il contint l'émotion d'un remerciement et démarra...incapable de savoir où se trouvait la ligne d'arrivée (si ligne d'arrivée, il y avait), l'autre cette jeunesse qui avait été un corps, puis une silhouette et une silhouette qui progressivement se rétrécissait avait disparu, mangée par l'horizon. Cela ne le découragea pas, il savait -il se souvenait que la gourgandine dans la force de son chapelet d'adolescence aimait jouer, courir, se cacher...Il sourit, tu as beau filer au loin, tu as beau te cacher derrière tout ce que je ne vois pas et ne soupçonne même pas d'exister, je te rattraperai, je t'arracherai à l'ombre, un chant d'oiseau, un bruit de cascade, un zézaiement d'abielle, la chute d'une pierre me signaleront bien ta planque. Il courrait donc en marathonien surmultiplié grâce à ces belles bottes (oh il n'avait pas le temps de nous les décrire, tout à son bonheur de voler grâce à elles!). Il courait, rien n'y faisait, rien ne venait égayer l'horizon un point qui se serait fait tache, une tache qui se serait fait forme, une forme qui se serait fait silhouette et une silhouette dans laquelle il aurait reconnu la silhouette de sa jeunesse, l'invitant en ralentissant ses pas à ce qu'il la prenne par la taille, lui donne corps dans une forte étreinte, et la garde serrée contre sa poitrine. Un instant, il crut que c'était elle. La rapidité de ses bottes lui avait, en fait, tourné la tête: il avait été halluciné. Sur le chemin, le coureur se trouvait seul, bien seul. Même les arbres qui, ici ou là, accouraient se planter sur les bords plus ou moins herbeux ou caillouteux, pour l'applaudir, en prenant bien garde à ne pas tomber dans les fossés qui accompagnaient le chemin, sur sa gauche et sur sa droite, les arbres, c'est sûr, voyaient bien que ce n'était pas le héros qu'ils espéraient, dont on leur avait dit de retenir le nom, de le graver dans leur écorce. Trop gros, disait l'un, trop âgé disait un autre, un troisième ajoutait le pauvre, comme il s'époumone. Non seulement, il n'y avait aucune âme qui vive là-bas au bout du chemin qui justifierait sa course, sa poursuite, sa folle performance, mais il sentait l'environnement hostile. Il avait l'impression que les feuilles des arbres jacassaient hululaient à son passage. L'horizon était bouché, blême. Tout espoir avait tiré les volets de sa demeure principale comme de sa résidence secondaire. A l'heure qu'il était (cela faisait bien deux bonnes heures qu'il courait!), la fatigue avait gagné ses reins et ses épaules et soudain, zut, sacrebleu, nom d'une pipe, merde, une crampe! La crampe qui terrasse. Vous met, sévère, out. Vous fait la risée de vous-même. Cette crampe dont il se croyait à l'abri, puisque doté de ces providentielles bottes de sept lieues. Des bottes, de bonne aubaine, trouvées au bord droit du chemin... et fabriquées, lira-t-on sur le rapport de gendarmerie, par un certain Perrault, conteur, successeur d'un certain Leboutin, chaussurier. Le mollet le moral identiquement raides, ça fait chavirer dans le désarroi et le désespoir. Le marathonien s'affaissa, éreinté, malheureux. Le souffle coupé. Il n'y avait plus de poudre de perlimpinpin dans son engrenage cardiaque le Dr Lechat, s'amusera un toubib de passage qui ignorait tout du Grand Prix Triennal du Rattrapage de la Jeunesse.

                                                                                           N. Paslyre

xxx

 

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