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Met Barran
4 septembre 2015

Il y a 700 ans mourait à Perpignan Menahem ha-Meiri

Entre ab/ eshebat (juillet/décembre) s'éteint à Perpignan Menahem ben Solomon ha-Meiri. Il est âgé de 67 ans. C'est une haute personnalité de Perpignan et de son Call juif que l'on va inhumer au "fossar dels juheus", sur la rive droite de la Tet, face à l'ancienne porte de Canet. Toute la communauté a été  affectée. Y compris au-delà des Albères et des Corbières. L'homme était un rabbin très sollicité et écouté, il fut aussi prêteur d'argent -en un moment d'expansion de sa ville. Il dirigea une yeshiva et un secrétaire de l'Aljama. Personnalité respectable et respectée qui lui valut d'être appelé Don Vidal Salomon par ses compatriotes chrétiens. Cette mort survint il y a exactement 700 ans. 7 siècles après on parle toujours de lui. On le découvre, on l'étudie, on le publie, on le lit. Du moins ce qui connaissent l'hébreu (et trapu hébreu médiéval), ou l'anglais pour quelques textes traduits dans cette langue. Donc, la postérité en a fait un Perpignanais, un Catalan, illustre, accessible (dans ses grands traits) par la monographie du rabbin Philippe Haddad, publiée par un éditeur...perpignanais. Beaucoup a été dit et écrit sur celui  qui n'existe pas sous un acronyme mais a laissé un nom "le Meiri" -l'éclairé, le lumineux- qui donne la mesure de ses talents, savoirs et "engagements". Dans l'expansion économique de la ville, mais aussi dans la vie de sa communauté et des problèmes de tous ordres qui s'y posaient.  Menahem vécut toute sa vie à Perpignan et une grande partie dans le Call de la place du Puig, où, né en 1249, il ne vit peut-être pas le jour mais où il verra se construire l'église  Sancti Jacobi. Il sera témoin de nombreuses transformations de Perpignan. Construction du pont sur la Tet. Nouvelle enceinte (1277). Expansion des Dominicains (60 religieux en 1290). Création du marché au blé (1293). Nouvelles paroisses:  Saint Matthieu et la Réal (1300)...C'est le Perpignan de la deuxième moitié du XIII° siècle et ça bouge. Le Perpignan de Jacques Ier le Conquérant, de la capitale du Royaume de Majorque (la construction du château royal débuta en 1276, quand Menahem a 27 ans, apprit-il les séjours qui y fit le majorquin Ramon Llull (1235-1315). Une ville qui n'est pas exempte d'enjeux, de luttes, de pouvoirs.  Intra-muros, et extramuros. Rivalités fraternelles et guerres. La Croisade (et son échec) de Philippe le Hardi, en mai 1285, contre Pierre III d'Aragon, le frère aîné de Jacques de Majorque -allié au roi de France. Est-ce alors que ses deux enfants auraient été kidnappés? Funeste année 1285 (Philippe meurt le 5 octobre, et son rival Pierre le 10 novembre). La vie, bien sûr, continue. La paix et ses compromis n'annulent pas tous les motifs de méfiance. Dans le macro-urbain de Perpignan et dans le son Call. Des Chrétiens et des Juifs en disputes religieuses: ce n'est pas un pas un âge d'or, ce n'est pas encore le rejet total (l'expulsion) des seconds, mais un historien comme l'américain Philip Daileader l'observe: on passe de la coutume et à l'ordonnance dans un processus de marginalisation de plus en plus marqué. Et entre Juifs où coexistent puis s'affrontent des autorités, des influences. Des autorités, la communauté perpignanaise n'en manque pas, l'une des plus assurées et incontestées, c'est justement Menahem ben Solomon ha-Meiri, talmudiste, rabbin décisionnaire et...philosophe. Il n'ignore rien de l'actualité, ni de ses tourments. Administratifs, religieux et intellectuels. Ni des stratégies de la conquête des consciences fragiles. Les chrétiens, et autres "gentils" d'un côté: dehors, autour de soi, de plus en plus majoritaires. Mais aussi dans le propre espace communautaire. Les plus ou moins mystiques et orthodoxes et les plus ou moins rationalistes ou radicaux. Dans chaque tendance se love une contradiction. Il y a ceux qui se réclament du géronais Nahamanide (Grand rabbin de Catalogne, qui participa, en 1263, à la Dispute de Barcelone  et s'exila, en 1267, en Palestine) et ceux qui demeurent fidèles à Maïmonide. Le Meiri a du respect pour Nahamanide mais qui demeure pour l'essentiel dans le sillon des pensées de l'Aigle de Cordoue. Ainsi, porté par les vicissitudes de l'époque et le "je t'aime moi non plus",  du conservateur et de l'innovateur, Menahem est-il amené à faire face sur plusieurs fronts. Sur le front religieux aux Chrétiens (dont l'un des leaders, les plus en vue et redoutables, est Raymond Martin, il mourra  à Barcelone en 1284). Il coexiste avec eux. Cette même ville, sa ville,  où devait naître, entre 1260 et 1270, qui Gui Terrena qui sera Prieur général de l'Ordre de Carmes, proche de trois papes, Grand Inquisiteur, évêque d'Elne -mais à cette dernière époque le Meiri est mort depuis longtemps.  L'air est déjà à la dispute. Menahem le dit lui-même, assure Jakob Katz, l'un des premiers à avoir attiré l'attention sur le rabbin. c'est en discutant avec un érudit chrétien qui a pris conscience de certaines lacunes de la religion juive, ce qui lui fit écrire, ce qui passe pour son premiers ouvrage, "Ha-Téchouva", ouvrage sur le repentir. Sur le plan philosophique et religieux, il faut également faire face, avec d'autres membres de sa propre communauté locale, ou de communautés extérieures, celles de Barcelone, Gérone, celles de Montpellier, Lunel, Béziers, Narbonne ou Carcassonne. Ces deux dernières villes étant les lieux d'origine de ses familles.  Et l'on voit (sur la foi des écrits du maître de la Torah, né dans une ville qui alors est nommée aussi bien Parpenyà que Perpignani), écrits décryptés et analysés par des spécialistes de la littérature religieuse et philosophique médiévale) que le Meiri s'impliqua dans les arcanes de la querelle maïmonidienne de 1300-1306  (selon Sarah Stroumsa, la IIIème) et aussi dans la défense de "coutumes locales". Ces dernières, menacées par des influences des disciples de Nahamanide, émigrés à Perpignan, les mettant en cause. Des coutumes "plus languedociennes que provençales", relèvera le professeur nordaméricain Lawrence H. Schiffma dans un colloque new-yorkais. Ce qui montre assez clairement  un souci, sinon d'indépendance, en tous cas d'une identité communautaire autonome. Titre de cet ouvrage : "Magen Avot" (le bouclier des Pères). C'est  bien là, coutumes locales et philosophie contre mystique et ésotérisme, que s'illustre le mieux la puissante et originale stature du Maître perpignanais. Penseur innovateur (disent ses meilleurs exégètes) sur de nombreux points de la Halakha. Cependant penseur modéré comme en seraient des preuves ses positions critiques,  tant à l'égard d'un Abba Mari  ben Moïse de Lunel que d'un Salomon ben Adret de Barcelone, deux des très grandes autorités de l'époque. Le Méiri n'hésite pas à "réprimander", espistolairement, le premier et à s'opposer par la même voie à l'intransigeance du second à vouloir l'interdiction des études philosophiques - "els llibres dels Grecs"-  jusqu'à l'âge 25 ans. Ce qu'avec 37 autres collègues, Adret finira par décréter le samedi 31 juillet 1305. Dans toutes ses situations, que des revendications de rang et de statut ne pouvaient manquer d'aviver, le Meiri semble s'être montré favorable au dialogue, au compromis apaisant. Et, on peut imaginer qu'il ne fut pas de ceux surtout des religieux traditionalistes qui, lors de la dite querelle, virent en Lévi ben Abraman de Villefranche de Conflent leur ennemi principal et en firent de Barcelone à Montpellier et Arles leur bouc-émissaire. Un Lévi, sensiblement plus âgé que Menahem, que ce dernier connaissait, sans doute de longue date, pour avoir été l'élève de son oncle. Reuben ben Hayyim  à Narbonne et de partager ensemble quelque influence maïmonidienne. A travers des lettres, par des textes autographes ou des copies, par des conversations lors des événements familiaux, des échanges à la synagogue, des déplacements ...se disait, se voyait, s'entendait, se colportait et s'essaimait l'actualité. En rumeurs ou certitudes. En événements majeurs ou mineurs. Avec des effets doux ou durs sur la population et les actes de la vie quotidienne. L'actualité, ce pouvait tel grand procès, comme en 1274, celui qui se tint au cloître des Dominicains, où Jacques Ier doit juger d'une plainte que quatre consuls de la ville. Ils sont forcément connus de Menahem, alors dans sa vingt-cinquième années et s'appellent -cités ici par ordre alphabétique avec leurs prénoms catalans- Guillem Carbó, Arnau Rayners, Guillem de Ferrals et Joan Sicard. C'est le bailly royal, Martí de Trullars qui est visé par la plainte. Ont été retenues contre lui...trente charges...dont six sont, indique Rebecca Lynn Winer qui évoque de "grand prcès" dans un de ses écrits (Défining rape...) "des accusations de délit sexuel, adultère, viol et tentative de viol... verdict: Aucune charge ne sera retenue contre le bailli royal. L'actualité c'est dans l'hiver1276-7, cette "esclave musulmane qui apprend que sa propriétaire chrétienne, Romia, fille de Guillem Draper du Moulin Royal, l'a vendue à Jaume, le fauconnier du roi pour 246 sous" et Rebecca Lynn Winter de préciser " une femme sarrasine mulâtre nommée Issa". (Aysha, Aisha, en latin Jussa) L'actualité c'est aussi cette ordonnance du 5 des ides de mars 1279, qui fait voler en éclats l'égalité de traitement entre chrétiens et juifs qui paraissait acquise et interdit aux chrétiens d'apporter de l'eau à un juif o ou à une juive, de faire sa lessive, de porter son pain au four. Une chrétienne ne peut rendre visite à une juive récemment mariée ou qui vient d'accoucher... Ou ce règlement du 8 des calendes de septembre 1299 par lequel le bailli royal fait défense aux juifs de toucher les fruits que les marchands chrétiens exposent dans leurs corbeilles. L'actualité c'est encore, en même ultime année du XII° siècle, les consuls de Perpignan qui ont obtenu de Jacques II, leur roi de Majorque, un privilège interdisant l'importation de vin étranger en Roussillon, Vallespir et Conflent. Est alors considéré comme étranger le vin qui ne vient pas de l'une de ses trois comarques. Les consuls s'appellent Pere de Castelló, Berenguer, Corbera, Bernat, Fuster,  Guillem Vola. Dans ces mêmes années sont secrétaires de l'"Ajamal" Astruchus Abrae, Solomonus Astruci de Villafrancha, Mayr Abrae et Asser Coeb de Lunello. Autant de consuls et secretaires qui l'ont connu, croisé, et échangé voire débattu avec le Meiri de ce qu'aujourd'hui on appelle, par eemple, les affaires de la ville, des quartiers et de ses communautés, sans trop outrer l'anachronisme...De tout cela et de mille autres faits -parfois privé, intimes- on doit parler dans la ville, et ses quartiers en développement. Et, bien sûr, au Call qui n'est pas en reste. Véritable poumon financier de de toute l'économie locale. L'argent c'est aussi le nerf de la paix. En 1300, selon l'historien Richard W. Emery (1912-1989), Perpignan comptait une des plus importantes communautés juives au nord des Pyrénées "numbering some hundred families or three to four hundred souls". Avec parmi un grand nombre de prêteurs d'argent. Le Méïri, Don Vidal Salomon, le fut comme le fut, dit Emery, son oncle Abram Mayr. (Menahem avait été orphelin de père très jeune). Un homme donc, particulièrement occupé et actif dans cette ville jeune et dynamique de Perpignan, capitale d'un Royaume, capitale d'une ville destination pour investisseurs, d'une ville de transition entre Montpellier et Barcelone, ville de séjour court ou d'immigration plus durable. Immigrations de différentes causes (économiques, politiques, religieuses, militaires). La grande immigration de 1306. Après que Philippe le Bel ait chassé les Juifs de son royaume. Une preuve de l' afflux conséquent de juifs de France dans la "ville sainte" de Perpignan sera en 1310 la création d'un nouveau cimetière, le "fossar dels jueus". Cette immigration eut des effets intellectuels et économiques et n'alla pas, non plus, on peut l'imaginer, sans rancunes et frictions, eu égard à des querelles anciennes. Une sommité comme Abba Mari, par exemple, n'y fut pas reçu spontanément, comme un bon prince. Le Méïri qui fut témoin de cet événement traumatique ne lui tourna sans doute pas le dos. Et cette rencontre fut peut-être pour lui l'occasion d'une réflexion sur son oeuvre qui bien que cherchant à mieux réguler dans un objectif de paix -le vivre ensemble de notre début du XXIème siècle les relations entre juifs et chrétiens au travers son audacieux et nouveau concept des "umot ha-gedurot be-darkei ha datot" (des nations policées par une loi religieuse) se voyait démentie par la catastrophique décision d'un Philippe le Bel. Sans doute les dernières années de la vie de Menahem furent elles entachées d'amertume mais il ne s'éloigna pas pour autant de la rédaction, révision, amélioration de son oeuvres. En particulier de cette oeuvre colossale qui porte le nom de Beith ha-Behira (le Temple, la Maison de l'Elu). Une oeuvre dont les historiens nous disent qu'il y consacra treize années de 1287 à 1300. Il avait 38 ans, quand il la commença et 51, quand il la considéra comme achevée. Cette oeuvre, immense par son volume, difficile et coûteuse à copier, puis -lorsque Gutenberg- parut tout aussi difficile et coûteuse à imprimer n'aurait pas été très connue, explique avec également la dispersion et la fragmentation de ses manuscrits qu'elle n'ait été que tardivement révélée au public lettré, érudit et hébraïsant. C'est à partir du mitan du XX° siècle que monument de la pensée et miroir d'une communauté a pu être plus largement dévoilé, offert, diffusé. Ainsi, Menahem ben Solomon ha-Meiri n'est plus le si longtemps méconnu des Archives du Vatican -et d'ailleurs, et sa ville natale ("3 elul 5009") ne l'ignore plus depuis les années 2000 et 2002 où le Professeur Gérard Nahon, et le rabbin Philippe Haddad se sont succédé pour dire l'universalité de ce catalan, ville qui, en 2004, lui a si généreusement offert un petit jardin et une plaque en son nom à l'ex-couvent des Minimes, où se de son vivant se trouvait le Call et dans un atelier duquel -que Clio nous pardonne- nôtre Grand Homme vit peut-être Raphael ben Salomon et son fils mettre la dernière main à la copie de cette bible hébraïque dite de Perpignan, qui depuis 1976 figure dans les collections de la Bibliothèque Nationale de France.

(Texte non définitif)

 

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