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Met Barran
22 février 2016

UMBERTO ECO A PERPIGNAN

Le nom d'Umberto Eco (1932-2016) était connu à Perpignan avant le Nom de la Rose (le roman qu'il signa et le film que J-J Annaud en tira). C'était, oui, avant 1982, date la parution de la version française Il nome della rosa, qui le mana à l'étoile de la célébrité. Et son public d'alors fut universitaire, des enseignants, des étudiants, des chercheurs dans une discipline nouvelle: la sémiotique. Eco s'était fait connaître, à partir de 1968, par son livre  La struttura assente sorte de carrefour entre structuralisme et sémiologie. Lecteur de la jeune revue Communications, qui avait publié des études de lui, il ne m'était pas entièrement inconnu.  Alors il n'était pas encore dans la littérature, fiction et histoire. Il se trouvait à Perpignan en réponse à une invitation du jeune Séminaire de Sémiotique qu'avait ouvert, à l'Université au milieu des années 1970, le professeur Gérard Deledalle (1921-2003), spécialiste de John Sanders Peirce (1839-1914), père de la sémiotique.  La maîtrise du français n'était pas alors très parfaite chez Eco, mais le fonds roman de l'expression de ce Milanais, son enthousiasme lumineux et l'humour avec lesquels il entretint deux heures durant et plus son auditoire du personnage de Sherlock Holmes fut particulièrement captivant et instructifen, fouillant  à la fois pêcheur au lancer et en orpailleur. Face à lui, sages comme des images, la plupart des chercheurs perpignanais qui allaient rapidement faire la particularité et le renom de l'enseignement d'une sémiotique peircienne à Perpignan, les Robert Marty, Michel Balat, Joëlle Réthoré, etc...C'était dans une petite salle intime d' un préfabriqué. On était peu nombreux -et je n'y étais que comme curieux- mais on fut, après trois ou quatre mots adjectivés par des gestes bien latins, sous le charme. Ce n'était pas encore l'aura du people, du puissant écrivain mondialisé, mais celui d'un amoureux des mots, des sens, de fable aussi, et de  ce qu'il y a derrière les mots, entre les sens, dans le noyau de la fable. Lecteur gourmand! Exégète passionné! Conteur éblouissant (Souvenir intact). Je me souviens également de ce que ce régal intellectuel, pédagogique et humain put se poursuivre le soir au domicile d'autres acteurs du séminaire, les Werner Burzalaff et Jenny Galinier, au village de Saint-Nazaire. Ayant été aimablement convié, je ne m'étais pas autorisé à décliné l'invitation.  Petit cercle d'happy few, nous eûmes le bonheur, autour du tapis vert d'une table de billard, d'un cocktail en main et d'un cigare au coin des lèvres, de bavarder à bâtons et dans un ton particulièrement exquis, à chaque minute plus...enlevé et débridé, de sujets bien loin d'être, tous, académiques. Même si, bien sûr  les professeurs évoquèrent des noms et des travaux qui m'étaient méconnus -et le sont demeurés. Umberto Eco répondait avec bienveillance à chacun (chacun(e) cherchant à en tirer le meilleur profit de ce Maître), se reposant avec une gorgée de boisson, une bouffée de cigare, ou une incursion dans la vie politique...  A un moment, je portai mon intérêt sur le psychanalyste italien Armando Verdiglione (1944) devenu, il y avait peu, la coqueluche des milieux psy-freudo-lacaniens par ses premiers livres. Verdiglione était, par ailleurs, le directeur de Spirali, un Journal de Culture internationale dont la version française s'appelait sans chichis éditoriaux Spirales. Qui, alors, voulait être dans le coup ne pouvait que s'y intéresser! Verdiglione était donc suivi. Il avait la réputation d'organiser de grands colloques avec les sommités les plus prestigieuses -ou sur le point de l'être-  de la discipline ou de la thématique concernée par la pluie ou le beau temps de l'éphéméride. Eco nous commenta que le succès international des congrès mondiaux qu'il organisait  n'avait rien de sorcier et provenait tout simplement de ce que Verdiglione joignait, au même courrier d'invitation, un chèque pour la couverture de la totalité des frais de M. X. ou de Mme Y.  Verdiglione était alors marié (ou fiancé) à une fille de Giovanni Agnelli (1921-2003), le grand industriel fondateur de FIAT, et grâce à une fondation il ne manquait pas des munitions pour armer sa générosité scientifique. Umberto Eco en souriait sans une trop visble éclat d'ironie. Mais... ce que ne pouvait pas savoir le professeur Eco, au moment précis de de notre échange, et dont l'information fit vaciller le fragile attrait que j'éprouvai déjà pour tout inconscient structuré comme un langage (de profit!), c'est que Verdiglione, l'auteur de La peste (1980), de Dieu (1981) ou du Manifeste de la Seconde Renaissance (1984) allait connaître, dès 1985, des déboires et les rigueurs de la justice italienne qui l'incarcéra. Umberto Eco reviendra une deuxième fois parler dans l'enceinte de  l'Université, bien avant de venir recueillir en 2002/20003 le Prix Méditerranée étranger du CML pour Baudolino. La disparition de le 19 février de cette cathédrale de la pensée et de la création qu'était Umberto Eco valait bien le rafraîchissement de ce modeste souvenir anecdotique. 

1. Gérard Deledalle enseigna à Perpignan de 1974 à 1990.

 

xxx

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