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Met Barran
14 juin 2016

L'Irrédentiste Bernat Gaillarde

"L'Irrédentiste", le "roman" de Bernat Gaillarde aurait pu étoffer une bien maigre bibliographie roussillonnaise d'expression catalane d'un titre supplémentaire. Les milieux de l'édition à en croire l'auteur, en récusant son manuscrit ne l'ont pas voulu ainsi. Tristesse des minorités de l'ultralocal avec ou sans accent! Si la première coulée du livre fut catalane, et si l'auteur avait quelque orgueil à le faire dans "la langue des ancêtres", l' auto-traduction qu'il en donne en français chez Les Impliqués Éditeur, si elle ne ruine pas les objectifs d'un témoignage individuel sur une lente appropriation culturelle et linguistique en modifie bien des aspects. Le catalan, qui y est conservé sous forme de citations, par exemple d'expressions populaires, y sonne sinon faux avec un son bien exotique et archaïque, ce qui n'aurait sans doute pas été le cas dans la version originale intégrant plusieurs variétés de langues: populaire et plus savante, celle des "ancêtres" et celle des "volontaristes" d'aujourd'hui, ayant passé ou non par des formations académiques, ici ou là. Cependant la présence de cette folkloristion linguistique plaira à bien des lecteurs, si ce livre leur arrive entre leurs mains, puisque tout ce qui est rappel dans l'idiome local: verbal, visuel, olfactif, est aussitôt versé en français en parenthèse. Ce qui représente un bon point pédagogique pour qui accepte de payer une dîme au bilinguisme. Mais, nous ne devons pas nous arrêter là, car "L'irrédentiste" a des qualités qu'il faut éviter de passer sous silence. La première d'entre elles étant la sincérité de l'auteur. Oui de l'auteur et pas seulement celle du narrateur -son représentant- et du "héros" principal, le petit  Pepchou et l'adulte "Il Dottore" - appellations qui renvoient à deux âges différents de la vie autour desquels s'organise un récit d'allure biographique dont la progression n'est pas toujours linéaire  et s'alimente de retours-en-arrière ou de digressions, familiales ou écologiques. En fait, plus "mémoire" que biographie au sens strict: mémoire des souvenirs rapportés -ou vécus d'un pays-, mémoire d'une prise de conscience (la maturité intellectuelle arrivant) et d'une obstination dans une affirmation et enrichissement culturels, qui ne saurait être la même pour l'adolescent Pepchou et l'adulte "Il Dottore", mémoire d'un ré-enracinement (de ses enthousiasmes comme de ses désillusions), mémoire d'une transmission et de ses difficultés. Ce roman exercice méditatif sur l'attachement à un pays n'atteint même pas 120 pages, subdivisé en deux parties. Il est composé de paragraphes de deux à une quinzaine de lignes, preuves d'une écriture elliptique, et garants d'une lecture fluide et rapide. Parfois presque dialogue, récit à voix haute, déclamé ou invitant à l'être. Parfois récit plus serré, intime, sensible, écrit. Comme, par exemple, dans les dernières pages du livre. On pourrait les croire irriguées par le bucolisme méditerranéen d'un Henri Bosco, ou d'un Jean Giono, sinon d' un Josep Pla, écrivain  de l'Ampourdan que Bernat Gaillarde semble apprécier. Dans ce roman, l'auteur, pardon le narrateur, se mue parfois en essayiste, en deux ou trois observations qui pourront paraître irréfléchies, naïves ou cocasses. Il en appelle aussi à la complicité du lecteur. Ce dernier, au milieu ou au détour d'une page,  se voit interpellé, prévenu, pris à témoin, accompagné par le narrateur-auteur. Et ça marche, le lecteur suit.  Bernat Gaillarde s'est fixé un but celui, bien légitime chez tout un chacun entré en âge, de se pencher sur son passé, sa vie. Et dans cette situation, impatient de dire non pas tout, mais un maximum de choses qu'il lui faut écrire (pour le public, la famille, les amis et lui-même),  il ne veut pas se laisser trop longuement distraire par les à-cotés du chemin (il n'est ni Marcel Proust ni Thomas Bernhardt) et laisser filer ses lecteurs. D'où ses interventions, ses relances. Bernat Gaillarde (le narrateur ne parvient pas à le cacher, son style non emberlificoté nous le souffle) a eu du plaisir à construire et à composer sa part de vérité, sa contribution à la culture et au pays- qu'il ne nomme pas.  Avec franchise et pudeur, prenant dans son engagement le parti des choses simples, qui est celui des émotions. Un retour au pays, un livre, une chanson, une discussion, des paysages, des parfums. Sans doute, la nostalgie perle-t-elle certaines de ses lignes en miroir (il y a une tendresse picaresque dans le personnage de Pepchou), mais elle n'est jamais larmoyante, outrancièrement passéiste. La pression de l'aujourd'hui oblige à y glisser quelques gouttes de raison pour ne pas désespérer de ses choix. Résister, se réaliser et demeurer fidèle à soi. Par-delà indignation, colère, non enrôlement. Ce qui ne manquera pas de surprendre, y compris les plus somnambuliques de ses lecteurs, c'est qu'on ne trouve sous la plume de l'ancien cardiologue (qui sait, c'est peut-être une souris de mauvais sang et or qui les auras grignotés?) ni le mot "catalan", ni le toponyme du village de sa famille paternelle, ou d'autres lieux, ni le patronyme -ou pseudo- de tel libraire, de tel médecin, ou de personnages qui ont compté et demeurent chauds au coeur de l'auteur. Il nous les présente sous forme de brèves vignettes/ devinettes littéraires. Généralement sympathiques et élogieuses, mais fort transparentes pour quiconque porte, a porté, quelque intérêt à ce "pays aimé" - c'est la périphrase constante dont use notre atypique Bernat Gaillarde- et à son histoire (catalane) depuis 1976, dont parle précisément le narrateur. Cet anonymat (qui n'est pas total, car des personnes (Llach, Pons) et des lieux (Collioure, Domanova) sont bel et bien cités avec leur exacte dénomination) n'est pas seulement de l'ordre d'une dissimulation, c'est encore un procédé, une ressource littéraire pour éveiller et impliquer la curiosité du lecteur. Ce dernier ne sera pas étonné de la fin voltairienne que Bernat Gaillarde, citoyen (dont le "volontarisme" a été mis à l'épreuve) donne à son récit "L'Irredentiste"? Sa vigne, son "casot" sont-ils différents de ce jardin que cultivera Candide?

xxx

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Met Barran
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