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Met Barran
13 septembre 2016

"Disparition des Pyrénées-Orientales"

Un bien joli livre que le tout dernier de l'écrivain Claude Delmas, publié sous un titre un peu panique "Disparition du département des Pyrénées Orientales", par la jeune et exigeante maison d'édition perpignanaise "Libre d'Arts". Que le lecteur ne s'égare pas, nous ne sommes pas dans le régional, ses racines, son destin et sa fin, mais bien dans une oeuvre d'art qui pour être enracinée dans des territoires désignés et irriguée par l'histoire (faits historiques locaux, nationaux, internationaux) est d'abord et avant-tout une expérience de connaissance de soi, à tel ou tel âge de la vie (enfance, jeunesse, âge adulte) et au soir de sa vie, lorsque l'on se penche sur son passé, lorsque avec son siècle, on s'interroge (de la Guerre d'Espagne 1936-39 au Onze Septembre 2001), lorsque le récit -comme s'il craignait de manquer quelque chose d'essentiel- se fait à la fois plus autobiographique et plus fictionnel, fouillant au plus intime et dévoilant du plus professionnel, comme ne l'avait encore jamais fait cet auteur d'une vingtaine d'ouvrages. La vie privée sentimentale et sexuelle, la vie publique, surtout professionnelle de celui qui fut avocat d'Air-France sont des fontaines thématiques par les occasions offertes de rencontres et d'aventures, de réussites et de déboires. Claude Delmas en exploite plusieurs, nous transportant dans l'espace et le temps (à la chronologie bouleversée), il rapporte, il témoigne, il se souvient, il écrit -et bonheur d'un style au plus beau sceau classique-efface toute cloison entre le vécu et le représenté. Ce sont, au fil des pages (d'un ouvrage qui s'écoule sans pagination, chapitres ou paragraphes, mais qui n'est pas une queue-leu-leu de souvenirs ou de réflexions) les facettes d'une personnalité qui sont mises en phrases. Toujours dans un contact à l'autre. Là, volontiers romantiques, puis plus minimalistes, murmurées. Ici, plus spéculatives et discursives -que ce soit sur des chats et des chiens, ou bien le désir amoureux, le doute, la fragilité, etc... Il brode l'idylle à Brétigny sur Orge ou à Reims, il tisse l'aventure (façon Tom Mix ou James Bond), romanesque dans le grave comme dans le cocasse. Claude Delmas, plus architecte de son oeuvre qu'il ne le dit en parlant d'un ouvrage de patchwork, a la maîtrise totale de son film (addicte durant toute une vie au grand cinéma de Ford et Renoir) qui nous embarque et nous entraîne, il sait nous fasciner, nous couper le souffle et nous relancer sur le chemin de ses valeurs et de ses désenchantements.  On y entend sans ambiguïté possible le sanglot de l'homme de gauche, orphelin d'une certaine lutte de classes, qui ne peut croire au XXIsiècle. Difficile de se séparer de ce texte (qui fait suite à l'inoubliable) "A jamais ton nom sur ma langue"), à son continuum sans cesse renouvelé de portraits et d'analyses, d'interrogations et de digressions. Claude Delmas travaillant comme un artisan d'art à la façon d'un maître-verrier ou d'un mosaïste, d'un artisan d'art. Mais qui se méfie du produit de substitution et opte pour l'authentique (sincérité et lucidité) contre le vérisme charlatanesque des mieux-disant de l'édition."Disparition du département des Pyrénées Orientales" surprendra le lecteur moins sans doute par ses contenus (les lecteurs de peu ou prou la génération de l'auteur y repéreront quelque chose de la phratrie d'engagement, les autres un "exotisme" d'assez bon aloi) que par sa forme de collage-montage qui, naturellement, emprunte beaucoup au langage et à la dramaturgie du cinéma, et nous transporte dans les temps et les géographies: Algérie, Djibouti, Haïti, Helsinki, par exemple... Rivesaltes ou Olette, Montpellier, Paris, Barcelone ou Madrid. La mythique Babylone, et Sarajevo (Catherine) la nouvelle et vraie vie: "une seule femme, comme Werther". A partir de son mariage avec  Catherine, écrit-il, "ma vie s'est définitivement forgée". Il avait alors trente ans... Des plans longs, de plusieurs pages parfois, des plans courts, de quelques lignes, simple apostille (sur un pièce notariée) ou simple touche de rehaut (sur un tableau de maître). Visée d'unité à partir d'une juxtaposition de différents types de prose. Ceux-ci étant liés à divers moments de la vie du narrateur. Adolescence et formation. Maturité et profession. Économie du transport et l'économie littéraire. De très belle pages sur l'écriture, ses chances et ses limites, auteur et narrateur sont dans le même avion, qui décolle, vole, survole et se pose. Ce la fait du travail et prend de l'énergie. Une suite de textes qui s'accrochent l'un à l'autre par une simple lettrine en noir foncé -signalant une "nouvelle" entrée comme dans un dictionnaire à la Proust ou à la Zola- et s'en éloignent par un jeu de flashes-back (notes de journal intime, ou souvenirs recouvrés sur un divan) bouleversant une chronologie stricte. Ce montage est suffisamment alerte pour nous embarquer, nous entraîner, nous passionner, et nous rapprocher d'un formidable maître de mémoire ("La destruction de la mémoire est une des formes de la terreur"), de langue et d'émotion. Il est vrai que chez Claude Delmas, il y a aussi quelques belles ombres de compagnies qui s'appellent Marcel Proust ou Roland Barthes.

xxx 

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Met Barran
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