Des choses sans signification

Des choses sans signification mais qui me ravissent. Cet étranger (son chapeau n'a pas la forme de la dominante chapelière du pays) les bras appuyés sur le rebord d'un pontet en bois en bon état (sans doute le dernier paysan poète y veille-t-il)... regarde filer une eau claire, propre, exceptionnelle, qui brille, et court et chantonne. Devant moi, ce lézard (sans doute encore dans la fleur de l'adolescence) hâte sa course comme s'il pressentait en moi quelque oiseau de mauvais augure, un écraseur sans vergogne, un piéton-tueur... tout à coup  entrevoyant un abri rocheux il s'y enfonce. Surprendre dans un rosier la scission d'un églantier, et sans colère souscrire à la survivance des deux. Les graminées parlent latin ou grec, tant de secrets nous échappent, mais les regarder, les distinguer, les comparer rend heureux.  Mains dans les poches, croiser une des ses plantes, un de ses insectes... dont l'éphémérité est la beauté. J'admire le merle bipède qui sautille, locomotion qui n'appartient pas encore tout à fait à l'humanité, merle qui sautille puis s'envole, mais l'homme depuis Icare a perdu ses ailes. Sur le seuil de la porte (qui a gardé son heurtoir du temps jadis), une chatte vestale à la robe lilas mouille d'une patte délicate puis frotte son minois avant de me laisser carte blanche...je pénètre chez moi. Il est incontestable qu'il n'y a pas de plus grand amant que le chèvrefeuille, dit le promeneur esseulé. On peut respecter la nature (et  aimer arum et cala, érable et bouleau) sans avoir la langue pendue à la façon écologiste ronchon.

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