Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Met Barran
13 octobre 2018

Lignes et points dans un paysage méditerranéen

Lignes et points dans un paysage méditerranéen

(NOTES)

Autour de quatre grands du XX° siècle:

 Victor Brauner, Walter Benjamin, Felix Nussbaum, Sasha Stone

 

En 1940-lors de l'invasion de la Belgique et dunord de la France par l'armée nazie allemande c'est pour beaucoup de résidents autochtones ou étrangers un sauve qui peut qui voit son salut vers le centre ou le Sud de l'Hexagone. Pierre Miquel (1930-2007) a laissé un livre (le premier sur le sujet) qui fait référence référence "L'EXODE 10 mai-20 juin 1940 (Plon, 2003). Pour quelques uns ( fortunés ou pas, des intellectuels, des artistes), le Sud, par exemple le Roussillon, est vu comme une étape pour passer à l'étranger avant d'embarquer ou s'envoler pour les États-Unis d'Amérique du Nord.

 

Un photographe: Sasha Stone (1895-1940) et un penseur: Walter Benjamin (1892-1940)) furent de ceux-là. Hélas! Ils ne purent atteindre le sol qu'ils avaient espéré. Stone y avait émigré et vécu jusqu'à la fin de la première guerre mondiale, il en avait la nationalité, il s'y faisait appeler, dans une équivalence claire comme eau de roches de ses prénom et nom russes Aleksander Steinsapir, pour Sasha Stone, il y connut celle qui devait devenir, à Berlin, sa première épouse: Cami Stone. Le second y était attendu par des amis et compatriotes d'Allemagne, tel le philosopha Theodor W .Adorno (1903-1969)

 

Le premier bloqué, avec sa famille, à Perpignan. Malade, il s'éteignit à l'hôpital de Perpignan...Le second, descendu à la gare de Banyuls- sur- Mer, réussira l'éprouvant passage des Pyrénées à pied... mais arrivé à Port-Bou, sachant perdu tout espoir de passer outre-Atlantique, il se donna la mort dans sa chambre d'hôtel. Deux migrations à travers le territoire français et roussillonnais. Celle de Sasha Stone -le juif russe- long périple par la route. Son véhicule, immatriculé en Belgique, sera caillassé à hauteur de la patte d'oie au haut-Vernet). Celle de Benjamin -le juif allemand-par le train...

 6 août 1940. Mort de Sasha Stone à Perpignan. Il avait 45 ans. (Saint-Pétersbourg-Perpignan)

 26 septembre 1940. Suicide de Walter Benjamin à Port-Bou. Il avait 48 ans. Berlin-Perpignan)

 

"La filière « F » de Cerbère à Port-Bou, organisée par Lisa et Hans Fittko, des militants antinazis, pour rejoindre Lisbonne par Barcelone ou Madrid, est utilisée par Walter Benjamin. Poussé à bout, cardiaque, menacé d’être refoulé par les Espagnols, l’écrivain se suicide à Port-Bou le 26 septembre 1940 : « Dans une situation sans issue, je n’ai d’autre choix que d’en finir »( http://www.cercleshoah.org/)

 

Cette même année Félix Nussbaum (Osnabrück 1904-Auschwitz, 1944) .peintre juif allemand émigré en Belgique va être acheminé vers les Pyrnées-Orientales. Arrêté à Bruxelles le 10 mai 1940 par les autorités belges comme "étranger ennemi", il se voit déporté au camp de concentration de Saint-Cyprien plage. Nussbaum, à la différence de Benjamin et de Stone, qu'il ne connaît pas et ne peut les savoir dans la même tourmente,  fait la traversée du territoire comme prisonnier. Certes les Pyrénées ne seront pas le terme de sa vie. Mais il connaîtra le camp d'internement de Saint-Cyprien. La "(sur)vie" entre mer et barbelés, le sable comme matelas. Pendant ce séjour et pour en supporter la précarité des conditions de vie, il trouve la force de dessiner des portraits et des scènes de sa vie au camp. Sinon tous aboutis en tableaux, du moins nombre dans l'état d'ébauches graphiques. Par exemple, un dessin dit "la synagogue du camp", dont il tirera, en 1941, revenu en Belgique, une huile sur bois de 49,8 x 64,8 cm (avec le même titre). D'autres oeuvres de lui renvoient à Saint-Cyprien: "Dans le camp" (1940), ou "Autoportrait à la clef" (1941) ou encore "Prisonniers" (1942)... L'endurance contre la souffrance, physique et morale.

 

Le "Musée d'art et histoire du Judaïsme" de Paris présenta il y a huit ans une exposition consacré à Félix Nussbaum. Sur la couverture du catalogue est reproduit un Autoportrait peint au camp de concentration de Saint-Cyprien. Des témoignages donc. D'une situation d'enferment. Du style d'un peintre.  Simples croquis de la plage carcérale ou tableaux terminés ou réalisés dans l'atelier bruxellois du couple Nussbaum, pour ne pas oublier, témoignages d'une expérience de la captivité dont Liz Elsby de Yad Vashem (Institut international pour la mémoire de la Shoah) nous dit:

 

" It was here that Nussbaum began to fully understand that, as a Jew, his life – and the lives of the entire Jewish People – were now under existential threat. It was a shattering revelation for him." Liz Elsby "Félix Nussbaum: Self Portraits of a Jew in Turmoll (The International School for Holocaust Studies.)

 

"C’est là que Nussbaum a commencé à comprendre pleinement que, en tant que Juif, sa vie - et celle du peuple juif tout entier - était maintenant menacée de manière existentielle. Ce fut une révélation bouleversante pour lui."

 

 

Nussbaum dut demeurer sur les sables aux grains si peu accueillants de la plage de Saint-Cyprien une ou deux semaines en mai, tout juin, tout juillet ainsi que quelques jours en août. Il tirera profit de la venue d'inspecteurs des camps de concentration pour leur demander un possible rapatriement en Allemagne. Ce sont des inspecteurs de la commission Kundt. "La commission Kundt, de passage à St Cyprien fin Juillet 1940, effectue un décompte par nationalité des internés ; ils établissent un total de 5065 personnes avec une majorité d’Allemand (2675) et d’Autrichien (989)" (http://jewishtraces.org/)

Nussbaum va voir transféré à une caserne de Bordeaux. Il s'en s'évadera dans le courant du mois d'août pour rejoindre la Belgique, sa femme Felka Plater, peintre d'origine polonaise. Le couple vivra clandestinement -continuant à travailler pour vivre décemment- avant d'être pris (sur dénonciation) par la Gestapo. Arrêtés le 21 juin 1944, Félix et Felka, ils sont emmenés le 31 juillet 1944 dans le dernier convoi pour Auschwitz depuis la Belgique. Ils y arrivent le 2 août 1944. Felka y aurait été tuée dès l'arrivée et Félix -pense-t-on aujourd-hui- entre le 20 septembre 1944 et le 27 janvier 1945.

 

Le départ de Nussbaum du camp de Saint-Cyprien a pu plus ou moins coïncider avec la mort de Sasha Stone, le 12 août, à l'hôpital de Perpignan. La "Croix Rouge" acceptant de prendre la dépouille du photographe, sa veuve la ramène en Belgique, plutôt que de l'inhumer dans la capitale roussillonnaise. Sasha Stone n'aura connu que pendant quelques semaines le soleil, le vent, les paysages de la traversée des Corbières et des alentours de Villelongue de la Salanque, où lui, souffrant, et les siens, fatigués, par le voyage, trouvèrent hospitalité, réconfort, gîte et couvert. On ignore le regard qu'il porta sur ls leix et les gens.  On ne sait comment Nussbaum a regagné le plat pays au climat incertain. Il était revenu en confiance.

Sasha Stone comme Félix Nussbaum avaient quitté l'Allemagne, fuyant l'ascension du nazisme, ils avaient trouvé repli et répit en Belgique, à Bruxelles. Peut-être les deux artistes s'y étaient-ils rencontrés à l'occasion d'une exposition, ou d'un spectacle au palais de la Culture de Bruxelles ou au sommaire d'une même revue.  

 

 

("Le nom qu'ils nous ont donné - émigrés - est fondamentalement erroné, car il ne s'agissait pas d'une migration volontaire ayant pour but de trouver un autre lieu d'installation. Les émigrés se sont retrouvés dans une nouvelle patrie, mais dans un refuge en exil jusqu'à ce que la tempête passe - Les déportés, voilà ce que nous sommes, exclus. " écrira un autre exilé, Bertold Brecht (1898-1956)

 Stone quitta à la hâte avec toute sa famille Ixelles-Bruxelles, où elle vivait. A bord d'une automobile prêtée par un voisin. Nussbaum, sera lui arrêté dans la même ville. (Les deux hommes s'y étaient peut-être croisé). Lui ne fila pas vers le Sud, vers la frontière franco-espagnole. Il y fut conduit de force, manu militari, déporté. Un même péril planait sur le photographe comme sur le peintre; tous deux juifs. Ceui-là même qui menaçait Walter Benjamin. Mais ce dernier descendant du train à Banyuls-sur- Mer, comment aurait-il pu savoir que quelques semaines auparavant et à quelques dizaines de kilomètres son ami photographe qu'il cite dans sa "Petite histoire de la photographie"(« La photographie comme art, dit Sasha Stone, est un domaine très dangereux ») et qui avait réalisé un photomontage fameux pour l'édition originale de son livre « EinbahnstraBe" ("Sens unique") venait de mourir. L'Alexandrer Steinsapir dont L'Indépendant avait publié le nom n'aurait pas été, pour lui, celui d'un inconnu.

Benjamin savait-il qui était Félix Nussbaum, son cadet d'une douzaine d'années, allemand né à Osnabrück, dans la même ville que le romancier d"A l'Ouest rien de nouveau", Erich Maria Remarque (1898-1970). Le passager du train Narbonne-Cerbère, lisait-il? Écrivait-il? Regardait-il par la fenêtre défilait les paysages du littoral roussillonnais? Avait-il entre ses mains une serviette? A quoi pensait-il, à chaque station d'arrêt ? A celle de Perpignan, que Dali n'avait pas encore mise sur orbite universelle par son grand tableau "Gare de Perpignan", le "Pop, op, yes-yes, pompier" (1965)? A celle Collioure, cette plage fauve à laquelle Trenet n'avait pas encore offert "La jolie sardane"? Songea-il à la tombe du poète Antonio Machado? Que pouvait-il savoir des camps de concentration de réfugiés républicains espagnols (ouverts dès février 1939 à Le Barcarès, Saint-Cyprien, Argelès-sur-Mer)? Comment appréhendait-il le franchissement des Pyrénées qui se rapprochaient et sa réception par des autorités franquistes? De ses pensées et émotions, nous ne saurons rien.

 Le peintre surréaliste Victor Brauner (1903-1966), juif d'origine roumaine, emprunta lui aussi la route de l'Exode songeant à l'Exil en Amérique du Nord. "Après la défaite de juin 1940 et l'occupation de la France par l'armée allemande, il prend la route de l'exode et se réfugie dans le village de Canet-plage dans la famille du poète Robert Rius." (selon ajpn.org). Dans les Pyrénées-Orientales, il ne demeurera guère plus de quatre mois demi, puisque (toujours selon ajpn.org) il arrive à Marseille le 14 novembre 1940 avec l'espoir de pouvoir, grâce à Valérian Fry (1907-1967), obtenir un visa et embarquer vers les Ets-Unis... Victor est un ami proche de Robert Rius (1914-1944). Il venait de graver un frontispice pour son recueil de poèmes Frappe de l'écho, publié "en mai 1940 aux Éditions surréalistes" comme le rappelle André Balent, dans la revue "Le Midi rouge" de juin 2014. (Frappe de l'écho a été réimprimé ces dernières années). C'est donc dans la famille d'un ami que trouve...cache et refuge. A Perpignan "au n° 26, rue Racine, adresse de la mère (et du beau-père) de Rius. A Canet plage, à la "villa Crépuscule" (assure http://www.robertrius.com) et  à Saint-Feliu d'Amont en résidence surveillée,. Le peintre borgne, depuis une rixe avinée avec son collègue Esteban Francès (1913-1976) sous ls yeux d'un troisième bacchique et peintre Oscar Dominguez (1906-1957), aura l'occasion de travailler pour subvenir à son quotidien dans une papeterie de la très commerçante rue perpignanaise des Augustins, et d'entreprendre, en sculpteur, plusieurs chantiers  dont (son premier) "Congloméros" à Saint-Féliu d'Amont, cette petite commune du Ribéral (où il avait pu aménager  un atelier) qu'il poussa...mais si... dans l'histoire de l'art contemporain.  

Brauner qui ne parvint pas à s'exiler hors d'Europe comme certains de ses collègues. Il lui fallut donc dans les années qui suivirent se déplacer avec prudence pour ne pas être pris dans quelque contrôle ou rafle,quand après avoir quitté le Roussillon, il séjournera en Provence, par exemple. Mais il verra Libération de la France. Et il peignit, en dépit des désagréments de coterie qu'il eut avec le pape surréaliste André Breton, de retour des États-Unis et dont le secrétaire particulier, un certain Robert Rius, lui, resté à Paris et entré en résistance armée (avec La Main à plume) sera fusillé par les nazis le 21 juillet 1944 près de Fontainebleau . "Le Gall" (Coq), c'était son nom dans la clandestinité, comme la rappelé l'historien André Balent. Il n'avait que 30 ans.

Quatre noms: Victor Brauner, Walter Benjamin, Felix Nussbaum, Sasha Stone. Quatre noms qui, à leur corps et esprit défendant, ont laissé des points et des lignes sur une carte nationale et régionale des fuites et des poursuites, d'enfermements et de deuils. L'oeuvre de trois de ces créateurs européens se vit interrompue par le climat tragique, persécuteur, chasseur et assassin de l'époque. L'oeuvre du quatrième, celle de Brauner, put se déployet, en maturité et liberté, jusqu'à la notoriété. Il sera, en 1966, le représentant officiel de la France à la Biennale de Venise. Cette même année, la maladie l'emportera, à l'âge de 63 ans.

Quatre noms qui, diront certains, ont peu à voir avec les Pyrénées-Orientales mais qui tout de même ont à voir avec eux si l'on descend du pic du Canigou en se frottant les yeux. Oui, cette question, des passages et des...fins. Cette question d'ennemis, de fugitifs et de raflés... Question d'histoire, de vigilance, de résistance!

xxx

 

 

 

 

 

 

 

 

Publicité
Publicité
Commentaires
Met Barran
Publicité
Archives
Publicité