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Met Barran
20 juin 2008

AUTOBUS DE SISCLE L'ANCIEN

                  [J’aime l’autobus urbain, même quand il joue à l’homme sandwich., se prend pour un cinéphile ou pour un amateur d’art. Il me transporte, pour pas cher J’y rêvasse un bon quart d’heure, c’est la durée de mon trajet quotidien. Assis à contre destination : j’adore surprendre les genoux des dames et les grimaces des messieurs. Ou, quelque fois, appuyé à une barre verticale. Je peux m’y accrocher en cas de grande secousse. Elles ne sont pas rares ces secousses. La circulation urbaine est bien plus cahotique que n’imagine le piéton se rendant à son cours de gymnastique, et le coup de frein –annoncé sans sonnerie-bien traître ou mesquin. Quand je ne rêvasse pas, je prête l’oreille, à tout ce qui se ronronne autour de moi. On est agent secret ou on ne l’est pas. Si tu ne prêtes pas l’oreille,autant changer de métier. L’après-midi la voix est plus claire que le matin où elle n’arrive pas à se désembuer des fumées de café. Je ne m’étonne jamais (j’ai beaucoup voyage, de mon quartier au centre-ville) que l’on parle dans l’autobus parle du mioche qui n’a pas pioncé de la nuit (ce doit être une nouvelle arrivante qui s’exprime)-, de rugby quatre femmes qui en savent beaucoup plus que Pagnol sur les cartes, de travail : « ce chef, Marcel, qui n’admet pas que les filles arrivent les lèvres peintes et trois minutes de retard », de vacances : celles de l’an passé ont été tellement pourries par l’échec aux Jeux de Pékin de Pierre , Paul et Jacques. L’autobus ne nous écoute pas ; il va son bonhomme de chemin. Un chemin obstrué. Le chauffeur échauffe sa voix. On n’en finira donc jamais. Rétrécissement de la chaussée, panneaux de signalisation, arrivée d’un homologue mais plus moderne en sens inverse, Chauffeurs qui se dévisagent comme des lutteurs de sumo, prouesse des deux champions pour ne pas s’érafler les côtes, ou se bugner les museaux. Ça passe, lentement, mais ça passe. L’autobus accélère pour atteindre le noble pas de sénateur que tout le monde nous admire. A l’intérieur du bus ; le meeting donne de la voix « contre tous ces travaux qui nous transforment en escargots ». "Cette ville -dit l’un les yeux fixés sur quatre hautes grues- -c’est la giga capitale des excavations ». Je trouve qu’il exagère un peu, mais dois-je me mêler de ce débat ? « C’est vrai –souscrit un autre- on ouvre, on referme, on re-ouvre, on re-ferme » « La vie, c’est comme ça », lâche comme le ferait un juge de professeur de médecine qui essuie son caducée sur mon veston : « on tuyaute et re-tuyaute » Dans mon autobus ( je dirais bien « bus » si je ne récusais pas ce diminutif pas très joli), on parle aussi du gaillard de trente sept ans qui bivouaque chez ses Grands- Parents sans même passer un coup d’aspirateur ; du mauvais voisin qui ne comprend rien au tri sélectif, et se fiche du contenu de ses poubelles comme de la chute de sa première dent de sagesse et le fait savoir en les balançant par la fenêtre du sixième étage. On y jauge aussi les impôts qui ont encore grimpé sur la corde d’un –c’est sûr !-futur pendu…On jacte de l’Europe qui vient d’en prendre un sacré coup sur les fesses. A cet instant, l’autobus qui redescend de la Gare freine vigoureusement. Comme si un commando antiterroriste avait surgi. La secousse n’est pas du tout imaginaire. Les Gens debout se croient pris dans une sorte de tremblement de terre, leurs lèvres sont froissées de panique, ils se sentent déjà avalés. Les autres, les Assis dont les globes ont retrouvé leurs orbites, s’écrient la lentille en goguette et la larme à l’œil « par chance nous avions cette place assise ». Quatre d’entre eux cependant –aimanté à ma barre verticale, je les observe- comparent leurs mentons luxés, leurs fronts tatoués et évoquent leurs visions. Mais que s’est-il donc passé ? La réponse à cette question bien légitime a été : « Dix petits chiens sans collier on traversé sans faire aucun signe la chaussée ! » Le chauffeur, du coup, se mue en héros. On l’aurait traité d’assassin, on l’ovationne à présent en lui tressant des guirlandes de mercis reconnaissants, et puis on revient au train-train, aux petites conversations de circonstance, aux petites émotions plus ou moins jouées de gens qui se connaissent…à peine, qui s’adressent la parole pour ne pas s’ennuyer, pour montrer qu’elles n’ont pas d’accent, que pour des étrangers ils font d’un jour à l’autre de sérieux progrès. A travers ces rideaux de banalités, (mais sans de telles banalités toute société roulante ou pas finit par mourir) mer parvient avec beaucoup de mal – ah !ce qu’il cause haut le mec avec les ray ban- d’outre temps- cette question d’un premier adolescent juste derrière lui à un deuxième adolescent plus près de moi : « Dis-moi, Mômo… c’est quoi ce « Lendemain de chenille en tenue de bal » ? Et Mômo de lui répondre : « Enfin, Abdel, un papillon ! Tu le trouves chez Saint-Pol -Roux »… C’est donc déjà l’époque du baccalauréat, me suis-je dit. L’autobus s’arrête devant la « Fédération Nationale des Anciens Courbés ». On monte, je descends oubliant de saluer les miens. C’est chaque jour presque pareil à cette heure. L’autobus file vers un autre arrêt nouvellement habillé par Clear Channel qui a damé le pion à Decaux. ]

(De SISCLE  L'ANCIEN -MA VILLE)

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