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Met Barran
5 avril 2013

C'était un bongarçon

C'était un bon garçon. Je veux dire qu'il passait pour brave et qu'il était, ma foi, bien généreux. Il avait cependant un défaut. Un défaut, façon de parler, point de ces défauts qui peuvent à interner, expulser...quelqu'un. Ce défaut, le voici. Il était visible et sonore. Dès qu'il croisait quelqu'un, un quelqu'un qui ne soit pas n'importe qui, un quelqu'un qui soit une connaissance et, mieux encore, un ami. De vingt, de trente, de quarante ans...Arrêtons le compteur, sinon le témoignage se muerait en délation.  Il te, le, nous croisait et sans perdre une seconde (le salut était expédié, plus rapide qu'un moineau qui s'arrache de sa branche), il te parlait. Oui il te parlait... de lui. Oh, il t'en parlait avec enthousiasme, mais sans se donner une allure universitaire. On sentait que quelque chose de méditerranéen gonflait ses paroles, mais il avait le talent  d'empêcher quelles éclatent et, du coup, ne brisent net la conversation. Conversation, vous vous doutez bien-si vous suivez depuis le début- que cela,qui avait lieu sur le trottoir (je viens de m'apercevoir que je n'ai pas planté de décor) y ressemblait peu. Il n'avait, de fait,  aucun besoin d'un interlocuteur. Tout interlocuteur l'aurait dérangé. Non, ce dont il avait besoin dans ces moments d'échange (il raffolait de ce mot qu'il s'arrangeait, était-ce un tic ou une façon de déstabiliser son vis-à-vis,  pour le placer trois fois en moins de deux minutes), c'était  d'un public. Oui, d'un public. Comme un chanteur, comme un comédien, comme un danseur. Quand il parlait son expression empruntait un peu à chacun de ces trois. Il était artiste. Tout à lui et rien qu'à lui. Il ne savait, ne pouvait, ne voulait que parler de lui. Toujours sur le trente et un de son ego. Deux oreilles, face à lui, suffisaient. Deux oreilles, où il pouvait glisser, comme l'on jette encore des lettres à la poste, les motifs et les échauffements de son narcissisme. Il faisait cela tout naturellement, et même avec une sorte de pudeur, tant il n'y avait aucune goutte de malice ou de méchanceté dans ce qui tombait de sa bouche pour revenir à lui-même. Qui parle seul ne se parle qu'à... lui-même. Si d'aventure, quelqu' autre (bipède bien chaussé, cheveu bien coupé et pantalon bien habillé) se trouve là, et ce matin-là, c'était moi trop tôt levé et son ami de vingt, trente, quarante ans...mais j'arrête sinon vous allez découvrir qui c'était. Il parlait à sa façon coutumière, allegro non troppo. Quant à moi, si l'on m'exonère -toi ou elle qui me lit encore- d'une image facile, je tenais le rôle d'un mur, mais d'un mur avec des oreilles. Les murs, comme vous le savez, écoutent. Oui, et malgré ce qu'en disent certains poètes initiés et malgré ce que continueront à mettre en musique tant d'affabulateurs stipendiés portant écharpe blanche, nouille ou rouille, les murs en revanche ne parlent pas sinon, sinon il y a bien longtemps que les pierres se seraient détachées, que les bois se seraient fendus, que les verres se seraient brisés, et que les aciers se seraient attendris... Pour lui, celui que je ne puis renier comme ami, une seule et multiple chose comptait: montrer qu'il est est, qu'il peut, qu'il fait ce qu'il veut, et peut ce qu'il veut. C'est ce qui, ce matin-là, avait piqué un léger sourire pervenche à ses lèvres à ma vue. La bonne aubaine... J'arrivais sur le trottoir d'en face, lavé à grandes eaux. Il -je tais son nom pour qu'il ne m'envoie pas aux enfers d'antan- m'avait déjà fait le coup de la bonne aubaine maintes fois en vingt, trente, quarante ans, vous pensez bien. Je ne sais pas exactement combien de fois car j'ai la fâcheuse habitude de ne pas immortaliser à la pointe d'un Bic "les plus menues choses de la vie comme les plus extraordinaires." Il me parla donc, plus Narcisse que jamais...Et ses yeux ne me cherchaient même pas. Ils allaient et venaient.  J'écoutais: Que pouvais-je faire d'autre? Que m'aurait-il permis de faire? J'écoutais appuyé contre un mur (Non, je n'étais pas encore vraiment le mur, ce mur), taquinant avec un bout d'allumette le petit dépôt de cérumen qui s'était planqué au fond mon oreille droite. C'était un bon garçon! Je le savais brave et généreux. Je l'écoutais parler, pardi. Cela lui faisait tellement plaisir.

xxx

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