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Met Barran
5 juillet 2013

Mon cousin et sa mégère

Fossa fut-il tenté par l'écriture? L'abondance de sa correspondance à laquelle on peut accéder aux Archives Départementales des Pyrénées-Orientales prouve qu'il y consacra de très nombreux moments. Mais le nombre de mots ou de lignes ne fait pas l'écrivain. Epistolier, passe mais écrivain, reste à voir...Cependant, il arrive que la plume de François de Fossa se plaise au développement, flirte avec la narration journalistique d'un voyage ou d'un séjour, ou le récit d'incontestable économie littéraire d'une aventure amoureuse ou dramatique. Sans chercher à plaider immédiatement la qualité littéraire de ce contemporain de Chateaubriand, voici une pièce qui pourrait servir à en constituer le dossier. Pièce qui doit être lue pour ce qu'elle était: une lettre à sa soeur, donc privée, destinée à un tout petit nombre de lecteurs familiaux. mais une lettre qui prend son aise dans un récit structuré, où se mêlent confession, témoignage, jugement...Libertinage et moralisme...Véritable plan de ce qui pourrait un roman, ou synopsis cinématographique. Le tout baignant dans une sentimentalité et des couleurs romantiques. Voici donc la dite lettre en forme de nouvelle.

"Je n’ai encore rien de nouveau dans mes affaires, ma chère amie. Je suis toujours chez mon cousin et j’y suis le mieux du monde. J’y ai eu une légère incommodité de huit jours, causé par une indigestion, et comme elle me donna la fièvre, je fus obligé de m’aliter et on a eu le plus grand soin de moi. Ma cousine surtout , a prévenu mes moindres désirs : je t’assure que je l’aime de tout mon cœur, d’abord parce qu’elle est réellement aimable et puis parcequ’elle est malheureuse. La manière dont son mari t’avoit écrit nous avoit trompé l’un et l’autre ; voici la vérité du fait. Ils m’ont l’un après l’autre fait confidence de leurs chagrins mutuels. Mon cousin avoit besoin d’un ami dans le sein duquel il put déposer le fardeau de ses peines, et le peu de tems que j’ai été indisposé, il m’a confié au chevet de mon lit, ce que je vais te dire : il avoit eu dans sa jeunesse une intrigue avec une demoiselle ; cela passa, ils ne pensèrent plus l’un à l’autre, et ils se marièrent chacun de leur coté. La Dlle étoit établie à Pampelune (1) ; lorsque les français menacèrent cette ville d’un siège, elle se réfugia à la capitale avec son mari et toute sa famille. Jaub (2). la vit, et sentit réveiller sa passion avec la plus vive force. Au lieu de chercher à la vaincre, il s’y abandonna entièrement et il ne passoit plus de jour sans la voir, parce qu’il ne pouvoit plus vivre sans elle. Ses désordres firent du bruit, des personnes malignement charitables en avertirent le mari qui se trouvoit absent. Il vint furieux à madrid, sa première entrevue avec sa femme fut terrible et il la traita avec toute la dureté imaginable. Cette femme avoit de la fierté dans le caractère, son mari la menaçoit d’un couvent, elle crut devoir le prévenir. elle demanda conseil à jaub. Qui eut la faiblesse immorale de lui conseiller de faire enfermer son mari. Elle alla en effet se jetter aux pieds du roi et ayant exagéré  avec les plus noires couleurs les mauvais traitements de son mari, qu’elle disoit n’avoir pas mérité, elle demanda pour sa sureté, qu’il plut à sa majesté de le faire mettre dans un château. Elle obtint sa demande et le pauvre diable, languit encore dans une tour, d’où il ne doit sortir qu’à la volonté de sa femme. Celleci n’ayant plus de frein pour la retenir s’abandonna au libertinage avec  une dissolution sans exemple : mon cousin eut des successeurs : on eut l’adresse de lui faire croire qu’il étoit seul et il fut toujours le payant. C’est ce qui a produit dans ses affaires un dérangement incroyable. Tu t’imagineras sans peine les tourments que sa pauvre femme a du souffrir durant tout ce tems-là. Il sortoit de chez lui à dix heures du matin et n’y rentroit qu’à minuit ; si sa femme lui demandoit avec amitié où il avoit passé la journée, il répondoit brusquement qu’il ne devoit à personne de compte de sa conduite. Enfin sur d’être trompé par sa maitresse, il avoit depuis cinq mois su éviter ses poursuites, il croyoit avoir pris la résolution de ne plus la voir. Cela l’avait réconcilié avec sa femme, et je suis arrivé dans un moment où ils sembloient, comme je te dis, amoureux l’un de l’autre, mais ce calme a été de peu de durée. La mégère a redoublé ses instances, elle a obtenu une entrevue avec mon cousin. Prières, larmes, tous ces arguments que les femmes savent mettre en œuvre, tous les artifices possibles furent employés et avec effet.-un des résultats de cette entrevue fut de tomber dans une faiblesse dont mon cousin conserva sur lui des preuves non équivoques, cette femme se trouvant dans certain état d’indisposition salutaire. Il ne s’apperçut pas dans l’instant des signes certains qu’il avoit sur lui de son entrevue, et lorsqu’il se deshabilla le soir, ils n’échappèrent pas aux yeux clairvoyants de sa femme. Elle s’abandonna aux transports de la plus vive douleur ; jusqu’alors elle n’avoit eu que des soupçons que mon cousin avait taché de détruire ; mais alors elle avoit des preuves parlantes, et il n’y avoit pas de raisons qui puissent les excuser. Depuis ce moment-là ils sont presque brouillés. Le lendemain matin, jaub. n’eut rien de plus pressé que de venir me raconter le tout, confessant, ingénuement son tort, et charmé de sortir de madrid, pour ne plus être exposé à de pareilles  scènes. Il est parti hier à midi en poste pour séville, d’où il se rendra au camp de St Roch (3), pour y faire les fonctions d’intendant. Je te laisse actuellement à décider si c’étoit un caprice de sa femme qui le faisoit aller à barcelone. Il ne craignoit rien  tant que de quitter la société de son abominable mégère ; et à cette occasion le ressentiment qu’il conçut contre sa femme de ce qu’elle avoit obtenu sa sortie de madrid, le fit coucher pendant cinq mois à part. il est vrai que la pauvre ne perdit pas grand-chose, car de l’aveu de jaub. Il y a trois ans qu’il n’a approché d’elle. Je t’assure qu’elle ne mérite pas ce traitement là, car outre toutes ses bonnes qualités, elle aime son mari passionnément ; elle me disoit hier que tout autre qu’elle se seroit peut-être vengée cruellement du mépris , mais elle ne croit pas que ses dérèglements continuels, soient une raison qui put excuser les siens. Je ne sai à propos de quoi nous nous étions imaginés que cette femme avoit été la maitresse de godoy (4). Je t’assure par tout ce que je voi, et par tout ce que m’a dit mon cousin qui plus que personne auroit actuellement intérêt à la dénigrer, qu’il n’existe pas de femme plus honnête dans le monde. Je ne crois pas qu’il soit possible de la connoitre sans l’aimer ; au reste je me trouve un penchant naturel à aimer tout ce qui me paroit malheureux. Il s’en faut bien que mon cousin soit heureux les remords le rongent. Je n’ai commis, me disoit il, l’autre jour, qu’une immoralité dans ma vie, et c’est celle de faire enfermer un mari, pour jouir avec plus de liberté de sa femme ; mais j’en suis bien cruellement puni par les cruels remords qui déchirent mon ame. Autrefois, continuoit-il, j’étois continuellement occupé à l’étude, cela m’avoit procuré beaucoup de considération dans madrid, et je jouissois même d’assez de crédit ; à présent et depuis trois ans, un trouble continuel règne dans mon ame, la paix est bannie de mon cœur, je m’évite et ne puis me fuir, et je fais le tourment d’une femme estimable, et que je n’ai pu forcer à me haïr malgré tous les chagrins que je n’ai cessé de lui causer. Voilà ma chère amie, les expressions de jaub. Lui-même. Son exemple me fait trembler, et je jure bien de ne jamais me marier comme lui pour faire le tourment d’une femme ; depuis son départ  son épouse a pris de la confiance en moi, elle m’a raconté tout ce que je savais déjà et que j’ai feint d en moi, elle m’a raconté tout ce que je savais déjà et que j’ai feint d’apprendre d’elle. Elle est dans l’intention de faire son possible pour se séparer de lui, pour, dit-elle, lui rendre service. la présence d’une femme, dit elle, est toujours un frein pour un homme; si lorsqu’il étoit avec moi il en agissoit comme il a fait, que ne fera t-il pas à présent qu’un espace de cent lieues le sépare de sa moitié ; j’emploie toute ma science à la calmer et à la consoler. Je lui représente que mon cousin n’est pas scélérat par habitude, qu’il a naturellement un fort bon fonds, et que n’étant plus exposé aux continuelles suborneries de son infâme maitresse, il reviendroit de lui-même à une femme qu’il a tant aimée et pour laquelle il n’a pu cesser de conserver de l’estime : je me suis mis dans la tête si je reste avec eux, de les mettre bien ensemble, ils méritent l’un et l’autre d’être heureux. Comme je n’ai ici rien à faire, je me suis amusé à te raconter tout ceci, persuadé que mon cousin te le confieroit lui-même, s’il te voyoit, car il t’aime beaucoup. C’est de lui que j’attends actuellement de l’emploi car laborde (5) et cia  partent avec le nouveau vice-roi (6). J’attends d’un jour à l’autre cia, qui doit venir de badajoz (7) pour se joindre à toute la suite d’azanza. Je ferai tout mon possible, pour l’engager à m’amener avec lui au Mexique. Je serais presque sur d’y faire fortune, et quel  plaisir  j’aurois ensuite de t’appeler auprès de moi pour en jouir mais je crains et avec raison qu’il ne soit pas possible à à cia de me prendre avec lui. Dans ce cas je resterai chez ma cousine, jusqu’à ce que jaub. ait de l’emploi à me donner dans l’armée de St roch ; et alors je partirois en poste pour l’aller joindre. Il seroit à propos que tu m’envoyasses une lettre pour lui, car il t’aime beaucoup, comme je te l’ai déjà dit, envoie moi ici la lettre je lui enverrai ou il sera. J’attends cia avec la plus vive impatience et je t’écrirai quel sera le fruit de notre en trevue. Dn Ant° Colombi continue à me faire beaucoup d’honnêtetés ; j’aurois eté loger chez lui si je n’eusse pas eu ici mon cousin, car cia le lui avoit très fort recommandé. Laborde te fait bien des compliments. Adieu, ma chère amie, je t’écrivis à mon arrivée ici par distraction à ton ancienne adresse, accuse m’en la réception ainsi que de celle-ci. Je ne sai pas encore ce qui sera de moi, mais je sais bien que je t’aime de tout mon cœur et que le seul plaisir que j’ai c’est de croire que tu me chéris tout de même. Embrasse de ma part la cousine et la tante et écris moi à Dn franco Dacapo (8) (ou f.), calle de Sn Joaquin n° 6 quarto 2 Madrid. »

(Lettre de Madrid en date du 8 octobre (ou novembre) 1796)

1 Pampelune est aussi la ville de Navarre en Espagne dont sont originaires Miguel José d'Azanza et Manuel de Cia.

2 Jaub. abréviation pour Jaubert. C'est le nom du cousin des Fossa.

3. Camp de St Roch à Séville.

4 Manuel de Godoy (1767-1851). Il était alors Premier Ministre d'Espagne et avait été fait Prince de la Paix après le Traité de Bâle (1795) mettant fin au conflit armé entre l'Espagne et la France

5 Laborde, Cia , Ant° Colombi: Commissaires de guerre. 

6: Miguel José d'Azanza (1746-1826). Ministre de la guerre, nommé Vice-roi du Mexique.

7 Badajoz. En Extreémadure, dans le sud-Ouest de l'Espagne.

8. C'est sous cette même appellation que, précédemment, il se faisait adresser son courrier à Barcelone.

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