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Met Barran
10 septembre 2008

1997: DE LA GARE AU QUAI VAUBAN

On sait ce qu'a fait Salvador Dalí de la gare de Perpignan, un mythe. Un mythe devant lequel certains  dodelinent de la tête, d'autres plantent des choux et d'autres encore secouent leurs puces. Bref, la gare de Perpignan n'a pas que bonne presse, mais Dalí a eu le mérite de la faire entrer dans la littérature et des auteurs s'en servent comme d'une porte pour introduire un récit de fiction. Comme par exemple le journaliste Pascal Guillaumes dans son premier roman

"La bête de Moebius" (publié en 1997)* (proposé par Le Chapardeur des Lettres Oubliées ou Perdues)

« Alors qu'ils s'apprêtaient à sortir de la gare, Tom retint soudain le bras de son ami comme s'il lui venait une idée. Il tourna la tête en tous sens, observant tour à tour les guichets fermés remplacés par deux distributeurs informatiques extrêmement polis, le plafond peint de motifs délavés, la librairie aux vitrines remplies de catalaneries et de pub pour des journaux féminins, la cabine d'accueil en verre où se morfondit une hôtesse maussade d'un âge certain, le tableau de papier sur support mobile où une main maladroite avait tracé au feutre rouge l'annonce d'une prochaine grève....

- Attends, dit-il, je rêve pas?...C'est ça, le centre du monde selon Dali

-Ben...oui, souffla Benjamin, un peu gêné.

Tom se précipita dehors, stupéfié par la ridicule statue de la liberté brandissant deux flambeaux que l'on avait érigée au centre d'un rond-point devant le bâtiment, puis se retourna pour admirer la façade d'une banalité affligeante.

Mais, c'est carrément minable! s'exclama-t-il.

-Cest peut-être ça, le truc...suggéra Benjamin qui l'avait rejoint. On a le centre du monde qu'on mérite. Un nombril sale pour une humanité désolante.

-Arrête ton char! Le monde est pas si con. Y a plein de mystères passionnants et....

-La statue, il paraît qu'ils vont l'enlever...L'interrompit Benjamin, pour couper court à l'envolée mystique de son compagnon.

Ils rejoignirent la moto tout terrain stationnée quelques mètres plus loin, enfilèrent les casques et Tom s'installa derrière le conducteur, une main cramponnée à sa hanche, l'autre crispée sur la courroie du sac qui pesait de plus en plus bas sur son épaule mais qu'il ne savait où poser sans déséquilibrer la petite moto.

Il sentit les muscles de son amant se tendre sous sa main au coup de kick et une flambée d'excitation irradia son ventre, lui faisant oublier la crampe qui menaçait déjà son autre bras replié.

Ils remontèrent à faible vitesse l'inévitable avenue du Général-de-GaulleGénéral-de-Gaulle jusqu'aux palmiers de la place de Catalogne, qu'ils contournèrent tandis que Tom jetait un oeil étonné au bel immeuble des "Dames de France", un grand magasin ayant fait faillite des années plus tôt et tombant lentement en ruine. La moto se faufila dans la circulation dense de la rue de la République encombrée de véhicules stationnés en double file et vira place Bardou-Job en direction de la place Gabriel-PériGabriel-Péri. Les rues en bordure de la Basse étant en sens unique, Benjamin dut prendre le quai Sadi-CarnotSadi-Carnot jusqu'au fameux Castillet, symbole omniprésent et un peu dérisoire de la ville, pour revenir sur ses pas, de l'autre côté de la rivière, quai Vauban, où il se stationna sur le trottoir, entre deux arbres, en face du glacier Espi..[..]

« Slalomant dans la foule, sa pile de journaux sous le bras, Tom rejoignit Benjamin qui s'était installé à une des rares tables libres, près de l'entrée du glacier. La salle au décor froid, sans ambiance ni intimité- de simples alignements de tables et de chaises pour rentabiliser l'espace au plus juste-était pleine de bourgeoises se gavant de pâtisseries et de lourdes crèmes glacées, les pieds encombrés de sacs publicitaires des meilleures boutiques de prêt-à-porter ou de grands parfumeurs. Les bajoues et les doubles mentons clapotaient au rythme des coups de mâchoires des fossiles humains. Dans une bédé animalière, Tom se vit cerné par une assemblée de tortues géantes, de crocodiles bipèdes et de varans érectiles dont les cous mous et fripés émergeaient de robes Cacharel et de chemisiers de soie.

Le serveur, un beau garçon à peine plus âgé qu'eux, leur apporta les verres de glace pilée au jus de citron que Benjamin avait commandés.

-Très joli spectacle, apprécia Tom, en décortiquant une paille.

-T'es vraiment un obsédé, soupira Benjamain.

-Je te parle des bourgeoises, pas du minet, répliquat-il. »[...]

Le lecteur d'aujourd'hui qui était déjà à Perpignan en 1997 aura corrigé de lui-même les "modifications" urbaines au cours de cette promenade à moto, de la Gare au quai Vauban.

XXX

* Dossiers de l'agence Arkham DLM poche, 1997,

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