Au temps des chansons
Une jeune femme
Une jeune femme en juin
Ineffable prairie-
Aube fragile, incertaine clarté
Puis, émois orgueilleux
Déjà sceau royal,
Solitude jaunie- vernale fureur
Buissons balbutiants-
Ombres fuyantes,
Tes cheveux-
Chaude senteur des herbes fauchées,
Tes cheveux chantent-
Sylphides de songe,
Songe d’amour –viole de mes doigts enfiévrés
Soupirs de pur corail,
Volutes radieuses et folles,
Tes mains-
Molle langueur des lacs éthérés,
Nef des cygnes de juin,
Tes mains glissent-
Néréides de songe,
Songe d’amour –menuet de mes sens éveillés
Et ma bouche échoue sur ta bouche
Et mes yeux s’enfuient dans tes yeux
Et nos yeux confondus s’évanouissent
Près de nos bouches assoupies.
L’ineffable prairie s’appelle M….
(6 juin 1967)
Toi, ma sœur
Une évidence
Abstraite encore et informelle
M’enveloppe dans sa conquérante douceur
Une évidence
En moi
Déjà obstinément posée
Une évidence riche de demande du bout des yeux
Une évidence riche de promesses du bout des lèvres
Un visage
Par le souvenir mille fois trahit mais reconstruit
Un visage et aussi un corps
Evanoui parmi les avoines de la nuit
Et qu’un songe laborieux pourtant ranime
Pourtant ces yeux, ces mains, ce corps
Et ce livre de prières charnelles,
De mon âme sont l’évidence, la douceur
La sœur.
(13 juin 1967)
Comme je voudrais tant !
Comme je voudrais tant être dans tes bras
Oublier le temps, oublier le tourment,
Comme je voudrais tant être dans tes bras,
Loin des gens, loin des agents,
Qui nous traquent et nous matraquent
Et volent nos ans et nos rires d’enfants.
Comme je voudrais tant être dans tes bras,
Oublier les salauds qui crient bravo,
Oublier les salauds qui crient bravo,
Bravo parce qu’un Viet est mot,
Bravo parce qu’ils sont les plus forts,
Bravo parce qu’un Arabe s’enfuit,
Bravo parce qu’ils ont gagné le Sinaï.
Comme je voudrais tant être dans tes bras,
Ne plus entendre les ronrons des cons
Qui nous jettent sous les ponts ou en prison,
De tous ces cons qui n’aiment pas les chansons,
Mais seulement le son de leur pognon, ce con.
Comme je voudrais tant être dans tes bras,
A l’abri des disputes et de l’acier qui bute,
Des banques qui nous efflanquent,
Des églises qui nous méprisent,
Des banques et des églises, ces banquises
Qui traînent notre existence patraque,
Israël incertain sur un océan de fuel.
Comme je voudrais tant être dans tes bras,
Pour rêver de tous les enfants heureux dans notre hutte,
Cette hutte en bois-refuge des cœurs aux abois.
Comme je voudrais tant être dans tes bras
Et que tous les hommes soient rois
Et que finissent les temps des luttes,
Des mensonges et des faux, ces temps idiots.
Comme je voudrais tant être dans tes bras
Et te dire je t’aime dans la langue des oiseaux
Et te dire je t’aime dans la langue des ruisseaux.
Comme je voudrais tant !
(20 juin 1967)
Amée Alcée
Il est un gros œil noir dans le béton hirsute
Un gros œil noir qui tourne en albugo
La nuit venue
Et m’éblouit
Et m’enchante.
C’est une alcée d’une inerme beauté
Aux bras nus incrustés de bleus d’amour
Sa robe d’alépine flamboyante
Est toute mouillée de pétales d’étoiles
C’est une alcée –incarnate et altière amazone
Amblant dans une aveinière rieuse.
C’est une alcée –amante impeccable
Ambroisie digne d’un hyménée princier.
Il est un gros œil noir dans le béton hirsute
Un gros œil noir qui tourne en albugo
La nuit venue
Et m’éblouit
Et m’enchante.
(4 juillet 1967)
Dis Manouchka
Dis Manouchka,
Qu’as-tu fait de mon cœur ?
C’était un petit chevreau sauvage
Et jamais personne n’avait su le retenir.
Il se nourrissait de baies et de fleurs, nuées réjouies
Et aussi de chardons et de fruits acides et amers.
Il vivait libre dans le vent
Mais les soirs sans lune, dans son lit de bruyère, il rêvait.
Dis Manouchka, qu’as-tu fait de mon cœur ?
Un jour tu passas.
Mon cœur s’ennuyait sur la branche d’un orme.
Les rires et la valse des libellules
N’amusaient plus le solitaire oiseau.
Un jour tu passas…sous la branche où il rêvait.
Dis Manouchka, qu’as-tu fait de mon cœur ?
Le ciel était un manteau sombre tacheté de soleil,
Et je vis un ange qui emportait sous son aile mon cœur.
L’ange était doux, l’ange était beau
Et mon cœur amoureux se laissa entraîner.
Dis Manouchka, qu’as-tu fait de mon cœur ?
-Je l’ai mis dans cette cage dorée et je le nourris de baisers.
(7 août 1967)
Le chant des iris bleus
Comme des bateaux ivres, mille papillons vibrent
Dans l’azur
Et les iris bleus de la fontaine chantent.
Et puis les iris se taisent
Et les papillons se posent,
Tout n’est que silence, ou bruit d’eau
C’est l’instant où le sourire des amants éclot.
Ses lèvres brûlent ses lèvres et son corps entier,
Sa joue contre sa joue, et leurs sens éperdus,
De la nature si quiète font un immense brasier.
Et puis les iris se taisent
Et les papillons se posent.
C’est l’instant où les corps, un et un, osent,
Tout n’est que silence, ou petit pas de rose.
Mille papillons se lancent dans l’azur,
On dirait, regarde, des bateaux ivres.
(sans date)
(sans titre)
Calfeutré dans le souvenir qui glisse sur le parquet
De ma chambre vide
Je contemple, émerveillé, le vol majestueux
Et candide
De mésanges lustrées,
Tes cils,
Freluches d’ombre,
Brindilles d’ébène,
Qui palpitent dans l’autan.
Une voix-légère comme la vapeur d’aurore,
S’élève d’un petit volcan rose recueilli
Et tes lèvres tressaillent,
Goujons effarouchés.
Ton corps à demi- nu sur le cresson mouillé
De ma rêverie qui glisse sur le parquet
De ma chambre vide
Est cette plage où mon désir aimerait s’ensabler
Et s’éteindre de bonheur.
J’aime tes cils qui me mènent à Toi.
J’aime ta voix qui me dit que Tu es Là.
(sans date)
(sans titre)
Promenade blonde,
Caresse de l’onde,
Ce livre vierge, cette écriture
Parfumée qui attend,
Deux regards qui se conjuguent,
L’écriture qui enlace la page.
Clarté d’extase, l’ombre se déchire,
Une main dénombre
Les mille et un attraits
D’une Vénus qu’elle dévoile.
Océan convulsé par la tempête
Des baisers. La nuit prend feu.
Promenade blonde,
Caresse de l’onde.
Mais l’écriture se courrouce,
Et biffe la page. Le temps
D’après a commencé.
(sans date)
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(Les textes qui précèdent ont été arrachés au grand Rongeur et Ogre que l'on nomme l'Oubli)
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