Son style

Ce qui le plus retenait l'attention, c'était son style. Un style maintes fois épinglé comme "plutôt invertébré". Lui n' y prêtait guère garde, mais le lecteur s'arrêtait et se posait -il n'avait pas encore parcouru jusqu'à leur bout les trois premières lignes- cette question: "Son style, il est volontairement contrefait, ou réellement infirme?". La question était plus brûlante qu'un soleil d'août! Et il découlait de la réponse qu'on y apportait, deux comportements possibles de lecture. Un comportement avivé, en quelque sorte par la curiosité du "ce qui, plus loin, nous attend", et cependant amusé. Et un comportement plus mesuré et plutôt compatissant. Le lecteur venant de se poser la question, il était pour l'instant bien en peine de l'adoucir par une réponse adéquate, sinon bonne. Apporter une réponse à certaines questions, suppose quelquefois une force herculéenne. Et réunir les éléments qui doivent permettre en faisant avec le doigté cartésien indispensable la part des choses qui, in fine, permettra de distinguer le contrefait de l'infirme n'est pas à la portée de tous les lecteurs qui s'interrogent parce que ce qu'ils aimeraient lire jusqu'au bout ne leur semble pas clair, qu'il se heurtent d'entrée à un écueil qui les déstabilise. Il raisonne et raisonne, la vérité ne roupille-t-elle pas dans les neurones? Il a progressé et rassemblé un gros fagots d'éléments, mais avant de le ficeler sa main tremble et il ne sait pas comment faire, et il doute? Ne me suis-je pas trop précipité dans ma recherche d'éléments? Et si me croyant arrivé à bon port et déposant sur le quai ma réponse,on s'apercevait -les douanes, c'est une éprouve angoissante- qu'il y a un manque, cet ultime élément qui, s'il avait été présent, vous aurait forcé à vous écrier "mais oui, c'est bien ça!" et vous aurait tiré du bourbier des balancements, des hésitations et des tergiversations? Vous auriez continué votre route en disant un merci souriant aux douaniers. Lorsque l'on a trouvé cet ultime élément -parole de lecteur rapportée mais non vérifiée- on a la gaieté avec soi et on avance sans traîner les pattes dans le texte, il ne parait plus invertébré, mais sinusoïdal et aussitôt empreint d'une poésie qui coule de source jusqu'au premier proche grand lac. On a comme disait un écrivain paysan rencontré dans les Landes l'assurance du cheval qui trime et hennit parce qu'il sait qu'à son arrivée il y aura de l'avoine et du foin. Mais, malheur, que l'ultime élément fait défaut, ou vous fait un pied de nez  et se met à fuir avec sur son dos un dossard moquer qui dit "attrape-moi si tu peux". Il y a là comme l'impertinence d'un dernier défi et on fait mine se se lancer aux trousses de l'ultime élément. Mais, on ne court pas: un météorite de lucidité bloque à la course. Et si ce fuyard, cet ultime élément, n'était qu'un faux, un usurpateur? A quoi, dans ce cas, nous aurait-il servi de lui courir après, on l'aurait rattrapé et plaqué au sol, comme on sait le faire ou bien ou mal dans un matche de rugby, mais pour rien, puisque ce n'était pas le vrai ultime élément? Le fagot était toujours là, la main du lecteur ballante, en attente de l'ultime élément pour ficeler sa réponse. Toujours à l'arrêt, la tête toujours dans les étoiles questionneuses! Alors, ce style invertébré, contrefait ou infirme? A ce stade de non réponse, le lecteur s'allongea sur son grand lit d'hypothèse et s'endormit. Il était tout bonnement sorti du texte, car son orgueil lui interdisait d'abdiquer, de passer pour un imbécile, l'empêchait en pressant sur ses almygdales de donner sa langue au chat (n'avait-il pas ouï-dire par ailleurs que ce sacré dit chat n'aurait fait de lui que ce qu'il fait habituellement des souris une bouchée et demie). Il s'était ainsi endormi K.O. et mort de peur... A vous, à présent, de dire si vous êtes en ce point final, si vous vous voyez en lecteur amusé ou en lecteur compatissant d'un texte serpentin.

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