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Met Barran
29 avril 2013

Femme à l'Académie F.

A l’automne 1970 je fais la rencontre d’un certain B., Ch de son prénom. Il se lance, à un âge fort avancé, dans la carrière littéraire et se porte candidat –au-delà d’un certain âge on ne doute plus de rien- à un fauteuil de l’Académie Française. Vous savez les jolis fauteuils, de ce qui n’est pas tout à fait une colonie de vacances, mais qui y ressemble, dit-on.

L’élection a été fixée au 11 février 1971.On doit pourvoir à la succession de Henri Massis. Et comme à chaque fois qu’il y a du vacant, on se bouscule au portillon.  L’épaisseur littéraire de ce candidat de « chez nous », je veux dire des Pyrénées-Orientales et même d’Argelès sur Mer, que tous les campeurs européens connaissent déjà, n’est pas « impressionnante ». Il a publié « Ni pitié ni chagrin ». à compte d’auteur aux éditions Debresse  Moitié pamphlet moitié essai. Il a une sacrée dose de courage, le bonhomme: Partir comme ça, la musette disons vide, à la conquête d’un séant d’Immortel. Mais a-t-on le droit d’empêcher son prochain de se camper en habit vert. Cet homme d’un type, en tous points, moyen, ne serait pas plus mal fringué dans la tenue ad hoc que ses futurs collègues déjà assis ou bien ceux qui y ont usé leurs fonds de culottes avant de vérifier que l'immortalité même en vert est relative. Une ou deux retouches, et les plis de l’habit lui iront comme une hirondelle au printemps. Mais l’habit, camarade, ça viendra plus tard. Notre homme, Ch. B. n’en est qu'à ses tous premiers pas. Une longue marche vers le dessous de la coupole l’attend. Il a engagé les démarches habituelles (aussi rigides que celles d’un rituel), réuni les éléments, constitué le dossier –et oui ! C’est ainsi, partout et pour tout et surtout pour l’Immortalité, on a besoin de références, de bons points ».

Mon homme est presque glorieux, et m’énonce (en fait il me l’écrit sur le revers de la couverture d’un livre qu'il me tend , « je vous l’offre », un livre qui ne porte pas sa signature, le sien, me dit-il, « je devrais attendre, il est actuellement à l’impression, mais vous en aurez un exemplaire », je suis rassuré et je peux regarder le nom de l’auteur du premier livre offert. Il est signé Françoise Parturier : « Lettre ouverte au hommes », publié dans une intelligente collection Albin Michel « J’ai déjà reçu 5 lettres d’encouragement » Je me tais, l’écoute ne sachant pas de quoi il retourne. Lui est affairé (mort écrit et mot parlé, je me demande si je suis dans une conversation ou une simple lecture).Il me dispense du contenu des lettres mais me livre –à voix haute, ou très visiblement écrit à la main, une main déterminée, qui ne tremblote pas- les noms de leurs auteurs avec titres ou fonctions, et il prend la précaution d’appuyer « tous de l’Académie Française ». Je passe, par la droite, l’accolade qui se voit sur la gauche du revers de la page de couverture et je lis -puisqu'il ne me le dit pas, puisqu'il me le fait savoir par écrit, non pas sur un feuille détachée mais, je le répète, sur un revers de couverture- a) De Maurice Genevoix, Secrétaire Perpétuel, b) De Emmanuel, seul Poète de l’Académie » –je les donne à la suite mais sur la partie manuscrite, ce que Ch. B, ou B., Ch. a mentionné sur le support livre de Françoise Parturier, ils sont étagés mais sans souci hiérarchique- c) De Jacques Rueff, Chancelier, d) Du Comte Wladimir d’Ormesson, Ambassadeur de France, e) Du Cardinal Tisserant (de Rome) – Du beau monde, n’est-ce pas ? Affirmatif ! Du beau monde de l’époque. Mais comme le temps passe puisque le voilà, ce beau monde, bien dans les brouillards, véritables limbes ou salles d’attente de l'oubli définitif.  Nous nous arrêtons. Lui, pour reprendre son souffle et me confier, « vous voyez que c’est du sérieux !» et moi lui répondant, sans vouloir me faire exagérément laconique, « en effet, c’est déjà du lourd !». L’ego, l’alter ego,  est là.  Je le gratte un peu. Comme un chat qui aimerait, dans un gémissement ou deux, en savoir un peu plus sur cette souris déguisée en grenouille qui se pavane déjà devant mes yeux comme un bœuf. Je ne tarde pas dix minutes à juger qu'il a une triple dent contre quelqu'un, et que s’il part, ainsi gonflé, vers la Coupole, comme l’on part vers un arc de triomphe, ce n’est pas avec une rose au bout du fusil pour lui conter fleurette mais avec du fumant qui étend. Poum! Poum! Ce qui a fait bondir, hors de ses gonds, notre bipède préfiguration d'homme couronné, ce qui a échauffe tout à coup son enthousiasme de marathonien, à servir, avant toute chose, les petits et grands mots virils du Dictionnaire, c’est une femme, c'est François Parturier (1919-1995) qu’il dépeint (qu’il dépeindrait s’il était peintre mais il n’est au mieux qu’un très passable prosateur) en fâcheuse… Milady.

Cette Milady (une Jeanne d’Arc sans le glamour de Marilyn Monroë), celle qui ronge sa triple dent et y abrite sa carie déjà trop à l'étroit dans son squat,  répond à l’identité, déjà connue, de Françoise Parturier . Écrivain et journaliste, elle a déjà confié un certain nombre d’ouvrages à l’édition ayant pignon sur rue et au fair-play de la critique et des lecteurs. Femme de lettres  sortie de l'ombre  (elle a même un balcon au Figaro), elle bénéficie qui plus est d’un franc-parler de militante féministe. Parturier est l’auteur de romans, sans doute, mais  pas de malentendu (et ici ce n'est pas Ch. B. ou B., Ch. qui s'exprime) : elle n’écrit pas comme Nathalie Sarraute ni Marguerite Duras ni Françoise Sagan. Et, alors? En effet! Ces romans sont des actes d’une foi érotique, sensuelle et sexuelle à fair craquer nombre de ceintures de  fausse chasteté bourgeoise. Elle a essaimé, à tout vent, ses idées, voletant dans les flammèches du volcan de l’année 1968. Par exemple une provocante « Lettre ouverte aux hommes », dont la lecture l’a mis (Notre homme la mena-t-il jusqu’au bout ? Le coupe pages a bien passé par là, mais est-ce suffisant pour se convaincre d'une lecture ?) dans tous ses états. Elle l'a courroucé jusqu’au rouge framboise. Notre homme n’était pas moins que ses contemporains, tenants d’un machisme inébranlable, tendu comme la hampe d’un drapeau. Et, me confie-t-il (en fait, je continue de lire; c’est curieux cette façon malsaine de persister dans la lecture d'un style qui se fait de plus en plus irritant) la tension empira, de la tête aux pieds, lorsqu’arriva à ses oreilles que la Milady se déclarait candidate à un fauteuil vacant de l’Académie Française. Panique sous la Coupole ! La menace des jupes s’affirme. Cette Coupole jusqu’alors par une pudeur mal placée en interdisait l'accès à la gent féminine, comme si cette coupole était une grosse cloche par décret divin dévolu aux parlotes et gribouillages de 40 mâles supérieurs.  La Parturier n’étant pas, en vérité et en notoriété, un sexe faible facile à renverser dans une conviction qui s’éloignerait de  ses pensées s’entêtait. Femme de lettres, et homme tout court, elle était dans l'arène idéologique.

De fait sa « Lettre ouverte… » était un Manifeste de combat. Clairement : De combat de l’ange contre les moeurs masculines. La testostérone à son  point d’ébullition, notre homme qui voyait se dresser devant lui Gynephobia et sa vagina dentata se saisit d’une plume, à la fois épée et lance-flammes pour faire reculer cette Milady qui voulait défier la loi phallique, protectrice d’une Langue bien française. Voici donc, la Milady et notre chevalier de St Michel et de St Georges, en compétition. Lui, la connaît, elle l’ignore. Elle cartonne, déboutonnant sa langue. Lui parie sur du verbe diplomatique, et en avant le talent: sollicitations d'audiences, ronds de jambes, et culture de l'entregent, petits soupers et vins capitaux,  et  mille et un salamalecs,  gantés ou à doigts nus pour séduire l’un par-ci et l’autre par-là. Il faut toujours une majorité pour gagner. Faire sa Cour, c'est dur! Notre homme, Ch. B., ou B., Ch. (il me l’écrit sur le recto de la page de couverture) n’aime pas la « Lettre ouverte » de la Françoise . Il l’incrimine, et dénigre  une « œuvre femelle » exacerbée et, pour ne pas me laisser l’impression qu’il a dressé son réquisitoire anti- François Parturier sur du vide, il fait le généreux présent de son livre annoté. Voici, dit-il,  le livre  qui doit « me permettre d’en tirer la substantifique moelle », ironise-t-il d'une pointe de sa plume.

La réponse de B., Ch ou de Ch. B ne se fait pas attendre (au moment de notre rencontre, elle n’est toujours pas sortie de l’imprimerie) est « Lettre ouverte aux femmes ». Il y a du baroudeur et du dévastateur en lui. L’ouvrage « tiré à 80 exemplaires » (en parenthèse, je lis« provisoirement »), «il  sera adressé, à raison d’un ex., à chacun des Immortels, le 2 ou 3/12 ». Je ne sais pas, du temps a passé et sans doute bien des pièces de cette affaire ont été par le vent emportées dans des contrées noires et glacées,  si Ch. B. ou B., Ch. a pu tenir son engagement jusqu’au bout. Ce que je sais et que je rapporte ici sans crainte d’être démenti, c’est ce qu’il m’en a dit. Ses yeux étaient alors encore plus sanguins que les commissures de sa bouche. Il avait écrit (l’écrit restera, savez-vous, pour que je me souvienne, que cela ne s’efface pas de ma mémoire!), il m'avait écrit avec une mèche de fierté sur le front « Déjà Maurice Druon, anti- féministe notoire, a reçu un manuscrit du Livre (le L de majesté biblique est de lui et non pas de moi son humble transcripteur) avec une lettre jointe=j’attends sa réaction. » Des lettres, d'accord! Mais des qui végètent, peut-être, dans un écrin de poussière dans quelque archive si, bien sûr, elles n’ont terminé leur destin de papier, le jour même de leur réception, dans un feu de cheminée ou dans un poêle Godin. Dans un autre article, sur cette même page (un vrai document historique et une pièce qui pourrait tenir le rôle du rarissime dans un cabinet littéraire de minuscule bourgade montagnarde), où est mentionné ce Druon, co-auteur du Chant des Partisans et géniteur épique des Rois Maudits (qui se préparent à envahir la télévision), notre homme (plus Tartarin sinon Don Quichotte que Rubempré ou Rastignac) malgré la distance Province Paris (on a déjà rêvé de TGV ; cependant les « machines » se font attendre) se tient informé le nez dans l'éphéméride de ce qui passe, se dit ou se fait là –bas qui est aussi là-haut, et il s’adresse à moi qui est son auditoire par cet entrefilet où perle une rosée de perversité « Parturier ne rentrera pas à l’A.F/, ni chez les Goncourt, qui, à Europe N°1, aujourd’hui, l’ont déclarée « hors la loi »…

Serait-ce à cause d’une certaine « orientation sexuelle » comme l’on dit aujourd’hui dans un langage voilé du début du III° millénaire? Mon interlocuteur et correspondant, semble ne pas être rassassié et s’alourdit  encore davantage sur la Milady par ce dernier article «Deux coups de pied au derrière, simultanément, la remettront dans le rang, du moins espérons-le… » On le voit, dans les alentours du volcan de 1968, les femmes gagnent à ne pas jouer à se prendre pour des équivalentes aux hommes. Pan, sur les fesses ! Et notre reflet osseux peu policé de Cro-Magon n’y va pas dans son étrillage ni avec la paume de la main ni avec le dos de la cuiller, subito presto, pressé de mettre de l’ordre, il passe au pied. Non pour le prendre mais le donner. D’autres annotations, brèves comme des cris nerveux d'insupportabilité, ne sont pas en reste, et ne le sont pas non plus les commentaires de notre candidat à l’habit vert qui, sans attendre le l'heure solennelle de la Réception, déjà coiffé de son tricorne et sa lourde Durandal à la main ferraille contre certaines de Françoise Parturier. Elle égratigne, saigne et estoque. Par exemple : Le plaisir donne sur la cour, roman-flash (elle aurait dû dire=…sur la basse-cour…celle des poules et volailles !...). Marianne m’a dit…, essai politique. (les femmes en Politique ! Voir Mlle Dienesch, Ministre , la très effacée Secrétaire d'Etat mais « palpantes de mensualités considérables, seule réalité tangible de ces effervescentes qui crient que « c’est arrivé » !.. et  Les Lions sont lâchés, roman (Mais ils ont des femelles, eux, qui sans déviations civilisatrices, comme le genre humain (Parturier dixit) acceptent leur sort et s’en contentent ! » Vlan ! Et vlan et troisième vlan! C’est pas du bois sec, mais vert, bien vert et souple. Mauvais temps pour Milady, qu’elle s’appelle ou non Françoise.

A l’élection du 11 février 1971, qui porta Georges Izard au fauteuil 32 où il succédait à Henri Massis, Françoise Parturier a remporté une voix. Élection symbolique ! Nous sommes en 2013, une nouvelle académicienne vient d’être élue. Dominique Bona. Elle est d’origine roussillonnaise comme Ch. B. le candidat anti- féministe et malheureux…mais je n’ai jamais su à quel seuil son espoir de fauteuil en velours s’est totalement envolé. Je n'ai plus revu Ch.B., ou B., Ch.. Il ne m'a ni téléphoné ni écrit. Qui sait, après-tout ce que je vous raconte, ce fut peut-être une galéjade, une façon de me mener en bateau ! De me distraire la monotonie d’une mise en congé au soleil, de dissoudre la mélancolie ressentie par celui qui aurait dû mais n’a pas pu dans laquelle je me noyais. L’Académie Française cependant accueillit sa première académicienne en 1980 : Marguerite Yourcenar. 9 ans après la tentative de Françoise Parturier.  Dominique Bona est présentement la huitième.Les portes de l'A.F. ont ouvert leurs portes à Mesadames depuis 42 ans.

Eustache De La Tour des Fards

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