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Met Barran
7 août 2013

Napoléon et le nouveau-roman

Au nom de Napoléon j’ai toujours associé celui de Claude Simon et à celui de Simon celui de François Napoléon. François n’était pas Empereur mais professeur de lettres et je l’ai connu en classe de cinquième, et une cinquième que l’on disait déjà moderne, pas classique. C'était au Lycée Arago, au vieux bahut, ses grandes cours, ses hauts platanes, avant que l'on ne nous déménageât sur le grand bâtiment en briques rougeâtres. Dès cette époque, vers le mitan des années cinquante, j’ai su qu’il y avait un auteur…de Salses…nous avait-il été dit, assez évasivement, qui était plein de promesses. C’était celui du sacre du printemps (1954), travaillant à un livre qui  pourrait s’appeler et s’appela le vent (1957). Concurrent d’un autre auteur de Salses : Arthur Conte, La vigne sous le rempart (1957).

Notre Napoléon n’avait rien d’un absolutiste mais il avait le regard, le ton et surtout  l’amour des lettres –et, quant à moi j’ajouterai, de « l’analyse grammaticale et logique »- de sévérité de conviction, qu’il tira ou non une forte bouffée sur sa cigarette, une gitane ou une gauloise-il y a du brouillard dans un coin de ma mémoire. Cela peut vous étonner, nous étions, pour ce qui de la nouvelle littérature, aux premières loges. Et, il me souvient que je rangeais aussitôt quelques noms d’auteurs qui m’avaient passionné et qui ne trouvaient pas « preneurs » : Joseph de Pesquidoux, Alphonse de Chateaubriand, Jean de la Varenne. Drôle de famille! Etait-ce par intolérance à la particule ? L'autre Chateaubriand en avait une lui aussi...

Sur la table, il nous fut dès lors conseillé –sans que je puisse affirmer que cela faisait partie du programme- d’ouvrir Les Gommes (1953) d’Alain Robe Grillet et Martereau (1953) de Nathalie Sarraute. , La Route des Flandres (1960) de Claude Simon. Il y avait sans doute un programme et les licences que le maître prenait avec lui. Cela ne me déplut pas  Plutôt lire qu’apprendre par cœur, les défaillances étaient déjà en place en cinquième. Si je ne devins pas accro de cette  façon de raconter ou de ne pas raconter des histoires –c’est bien sûr parce que le terme n’existait pas, je ne l’ai jamais traité de haut et lui ai dédié toujours de l’intérêt. Pour bien dire je ne fus jamais féru de Claude Simon.  Ni avant ni après son prix Nobel, ni à l’époque de sa découverte ni au temps des « lauriers coupés » et répandus à brassées par les médias parlantes mais non lisantes.  Oui, je lui ai toujours porté de l’intérêt. Et j’ai beaucoup aimé son Orion aveugle avec Joan Miro. Quand j’entends Simon, mon Napoléon s’éveille.

Une part du respect que nous manifestions à notre professeur de lettres, venait  de son brillant, de sa sagacité et de sa disponibilité mais aussi se nourrissait de ce que nous savions, du moins Marcel, Francis, etc… quelques-uns d’entre nous qui n’avions pas que la passion des flottants et des crampons, qu’il avait un pseudonyme, joli mot de masque que j’ai appris et apprivoisé alors, sous lequel il donnait son avis sur ce qui s’éditait. Il publiait dans Le journal et dans des revues de la capitale.

Nous savions. Qui avait trahi ? Il ne fallait pas aller chercher bien loin. Le traître –il n’y a jamais eu traître plus sympathique et généreux-il suffisait d’aller du côté de la surveillance générale  Oui, « Chez Coco » –non pas de Chanel ou de Ferré mais plus humblement de Colomines, un petit homme nerveux mais à un an ou deux de la retraite. Qui avait laissé beaucoup d’esprit d’initiative à l’un de ses secrétaires, de fait un pion tenant lieu de, qui s’appelait Claude Couëffec et avec lequel j’entretenais les meilleurs relations qui soit, venant d’un village et lui d’un autre Vinça. Claude était « notre informateur », il avait un pied dans la presse écrite et un pied dans la presse parlée. Homme d’exception, guère plus âgé que nous, au fait de l’actualité et qui nous ayant à la bonne nous en accordait comme on dit la priorité, on ne s’abreuvait pas encore de scoops. Et alors, ce pseudonyme ? C’est C.C., ainsi qu’il signa longtemps des articles dans L’Indépendant dont il devint plus tard le grand critique des spectacles, qui nous le livra. Charles-Henry Reymont.

Interrogé, il nous le confirma en classe, répondant évasivement sur sa signification…le nom d’un ami qui lui était ou avait été cher…Notre but n’était pas d’en quêter, mais de savoir. Et, ma foi, c’était un fort joli nom, fort construit, un hexasyllabe plus doux et enveloppant que celui de François Napoléon  Deux noms pour la même personne… Oui, c’est possible, et c’est une tradition. Très ancienne et très prisée.

Un nom bien sonnant, presqu’aristocrate. et fort ressemblant dans sa pose séductrice à celui de ce René Marill Albérés, auquel François Napoléon se référait assez souvent à lui en classe, comme étant sinon un dieu, en tout cas un ami, un complice dans la pénétration de l’arcane littéraire… Peut-être le Maître dont il se voulait le disciple ! Tous, nous avons besoin d’une caution. Cela assure notre appréciation et rassure celles et ceux qui nous l’entendent porter. Charles –Henry et François se référaient à lui, comme à une autorité. Comme une partie de son patronyme  pouvait le suggérer à quiconque, déjà versé dans la toponymie et la phonétique, voulait en débusquer l’origine, il portait en lui un air des Albères, la chaine pyrénéenne séparant le Roussillon et l’Empourdan. Mais ce n’est que bien plus tard, que j’en eus la confirmation : ce René Marill bien évidemment natif des Albères. Mais, à l’époque dont je parle, un léger voile de mystère le recouvrait. L’intuition suffisait. En revanche, il n’y avait aucun mystère sur son rôle de porteur de modernité par ses écrits et les échos qu’en faisaient ses amis ou collaborateurs, à Perpignan et ailleurs. René Marill Albérés, via François Napoléon/ Charles-Henry Reymont, facteur de l’éveil perpignanais au nouveau-roman.

Il y eut dans les années qui suivirent, non seulement les livres que Minuit édita dans ce domaine littéraire, présentés, lus et commentés à Perpignan, place de la Loge, sous la pimpante mais sans collier Vénus de Maillol, ou place Arago, où on était loin de penser qu’il faudrait un jour déplacer la statue d’Arago et son  socle de quelques mètres, de même que l’on ne pouvait anticiper la disparition des sièges du journal Midi Libre, et de la Dépêche (de Toulouse), mais encore  un  Alain Robbe-Grillet, pape sans besoin de réunir un conclave,  qui vint parler à Perpignan, mais si, que bien sûr, que je vous le dis, à la salle Arago, au premier étage de l’Hôtel de Ville. Un petit recentrage imaginatif et voici Robbe Grillet, se désaltérant au Café de France et en conversation avec un groupe de mordus de nouveauté dont Napoléon qui l’avaient invité. Ce pot, racontera-t-on par la suite, brisa quelque peu la confiance que ces Perpignanais avait placé dans ce pape écrivain et cinéaste. Allez-donc savoir ce qui était réellement advenu. Mais lors de cet événement pour les uns et d’incident pour les autres, nous n’étions plus dans la classe de Napoléon. Nous avions quitté la cinquième. Le nouveau roman avait de jeunes lecteurs "Autour du Castillet", pour reprendre le titre d’une rubrique longtemps fameuse de L’indépendant mais qui par la suite se verra relayée par une non moins fameuse dite "Tour en ville".

            François Napoléon officiait en tant que critique littéraire dans ce quotidien sous le nom de Charles-Henry Reymont. Ce canard comme l’on apprendra vite à dire, dans lequel, nous les jeunes, avant de rechercher l’information sportive qui célébrait les Maso et MA Lafosse, les Côme et les Trescases, ces « dragons » avant la lettre ou de l’information littéraire Où en était Ludovic Massé ? Quel serait le prochain Arthur Conte ? Le dernier épisode du feuilleton le « Maître des Forges » de Georges Ohnet, nous nous précipitions sur les productions d’Opéra Mundi, et les Rip Kirby –lequel sans Edmond n’était pas grand-chose, les Ben Bolt, et la Famille Illico (Bébert et Bébelle), nous apprendrons en cours d’anglais que ces crobars en bandes et bulles s’appellent des « comics strips ». Thank you, mister ! Dans ce journal, où la malveillance passée en boucle de génération en génération, affirmait qu’il se réduisait à "cinq pages et rien dedans", et où il y avait tant à lire et à s’instruire, Charles-Henry  Reymont tenait sa chronique. En ce même temps où le politique tétait l’encre de son encrier, le romancier Arthur Conte, auréolé depuis 1950, par la légende qu’il avait tressée à Pablo Casals et après avoir tenté de conquérir Paris –comme tant et tant s’y essayèrent avant lui-avec son roman « Les oiseaux n'y savent pas chanter », proposait des éditoriaux en première page, à la UNE, s'il vous plaît  signés Bernard Orsang. On le disait ami du patron, Paul Chichet: c'était vrai et dans cette préhistoire il était socialiste.

Charles-Henry était un plume fine, aiguisée, enlevée, piquante  C’est vrai avec un côté que nous prenions pour parisien, reste pensions-nous de la philosophie « il n’est bon bec que de Paris », et qui n’était qu’un hommage constant au style de Proust qu’il aimait par-dessus tout et qu’il nous a fait remarquer dans sa défense du nouveau-roman. Marcel, Francis, moi, et d’autres « modernes » de villages, nous roulions les « r » quand nous lisions,  et lorsque  nous parlions les « r » mettaient leur puissance au carré. Naturellement, bons élèves, à la recherche de la lumière dans nos nuits d’apprentissage, nous « obéissions » au conseil que paraissait nous suggérer, le maître, dans ses chroniques. Charles-Henry était une signature. Sa voix était écoutée. Il avait comme l'on dira "de la surface". Perpignan n’était pas encore une ville universitaire. Les « profs du secondaire » menaient la barque de la culture. Charles-Henry Reymont/ François Napoléon était l’un d’entre eux Il mouillait sa chemise. Rien de comparable cependant avec les « tambours majors » de spectacles et de foire littéraires de nos jours. Il n’y avait pas alors ce chapiteau multipistes du CML aux arènes démontables de "ONLESAVUSAPERPIGNAN" sur Tet & Basse. L’emphase, l’hyperbole, le méga-mégaphone n’étaient pas encore cathodiques. Et cependant, on apprenait à lire, et on lisait. Et sur les grandes lignes que nous prenions, nous faisions la rencontre de drôles de types, de François Villon à Tristan Corbière...

La radiophonie en habit de TSF avec ses ondes courtes et ses ondes longues cherchait arbitrer les élégances dans le bal des nouveautés, car nouveautés toujours il y a eu, et plus de nouveautés que de religions. Chaque station des grandes villes de l’hexagone y prenait sa part. « Radio Perpignan »  comme les autres. (Un nom vient sonner à ma porte : Georges André ! Faudra que je vérifie). Le studio se trouvait à un étage (le second peut-être) –je le dis pour y avoir été- de l’ancienne caserne devenu cité populaire de la place du Puig. Les fenêtres du studio donnaient sur la rue Louis Bausil où s’ouvre actuellement le restaurant Le Sud, à une extrémité et où se trouve, à l'autre extrémité, une école (aujourd’hui un établissement socio-éducatif) que dirigea un maître d’école à l'ancienne et « fou de cinéma » qui y implanta même, en fin d’année scolaire, un « festival », lequel festival venue retraite du cinéphile (on commençait à le dire ainsi: Ingmar Bergman et Jean-Luc Godard avaient commencé à mettre leur pellicule au balcon et les Amis du Cinéma, derrière Marcel Oms faisait souffler un air nouveau sur les débats d'après projections de films) parti avec lui mettre l'écran sous les platanes et au frais dans le joli village de Camélas. Festival, mini sans doute, mais pour le plaisir des images, des dialogues, des séquences.

« Radio Perpignan », où l’on buvait et fumée comme dans les films noirs américain, présentait –était-ce chaque semaine, ou chaque mois- était-ce le vendredi ou le samedi ou un autre jour de la semaine-, ne vous ai-je pas prévenu plus haut sur mes défaillances- des programmes culturels, oh la musique n'y faisiat pas défaut, je vous l'assure. Temps de Piaf et de Chevalier! Dans ces programmes intervenait Charles-Henry Reymont, mais là, sous son nom d’état-civil, François Napoléon. De fait, il participait à deux émissions « Plaisir aux Lettres » et « Plaisir au cinéma », en alternance. (Une sorte de « Le Masque et la Plume » dont on peut rappeler qu’elle fut créée par Michel Polac et Francis-Régis Bastide en 1955) Le plateau de « Plaisir aux lettres » réunissait régulièrement Pierre-Auguste Segalen (qui était, par ailleurs, le proviseur du Lycée Arago), peut-être même quelquefois sa fille Anne, François Napoléon et Hélène André. Sans doute, la première femme journaliste de "Radio Perpignan". Le plateau de « Plaisir au cinéma » fera une place à Claude Couëffec, dont la plume fut toujours plus plus à l'aise que son oral. Ces émissions durèrent plusieurs années, y compris lorsque la radio, sans doute à l'étroit ou poussée dehors, émigra vers la rue Mailly –mais elles finirent par disparaître faute d’auditeurs, de disponibilité, ou de bénévolat.

 

L’aile du souvenir

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