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Met Barran
28 décembre 2013

Arthur Conte

Proche d'Arthur Conte, je ne l'ai jamais été. J'eus à le connaître. Son souvenir n'a jamais été gris, ou déplaisant pour moi. Je fis sa connaissance, adolescent, en lisant le quotidien L'Indépendant. Il me souvient de Rip Kirby, de Ben Bolt, de la Famille Illicoet de Bernard Orsang qui signait des billets à la Une du journal. Bernard Orsang, je le découvris par une indiscrétion d'un camarade du lycée Arago, et originaire de Salses, était un pseudonyme d'Arthur Conte. Arthur, comme Rimbaud? Conte, comme les contes de Perrault. Il y avait de quoi lui prêter quelque attention. La politique ne m'intéressait guère, mais j'étais heureux d'apprendre qu'il était écrivain et historien. Comme écrivain, un de ses livres fit rêver rêver l'enfant de village que j'étais alors, c'était La vigne sous le rempart. Un autre de ses livres aussi eut un profond écho en moi: celui où il parle de la guerre d'Espagne et de la Retirada (???). La sympathie que j'avais pour lui -que je n'avais jamais vu, ni physiquement ni en photo- s'émoussa un peu, lorsque parole de camarade mal adroit ou mauvaise graine de Corbeau, j'entendis dire (au Lycée François Arago)...que ce n'était pas lui qui écrivait ses livres. J'ignorais en ce temps de mon noviciat lycéen ce qu'était un ghost writer, un nègre. La plume d'Arthur? C'était notre professeur de français et cette pour cette raison que c'était plutôt bien écrit! La production littéraire qui suivra  devait démentir ce bruit de bahut, inspiré par on ne sait qui et destiné à on ne sait quoi. Destiné, si on pouvait facilement l'éidentifier, à nuire, à discréditer. Arthur Conte était-il alors en train de gagner de la hauteur dans l'arbre de la notoriété locale et quelque envieux, ou "gilos" comme l'on disait aux temps courtois, s'attachait à lui scier la branche sur laquelle il méritait de s'asseoir? La sympathie que je portais à l'homme de Salses, ami de mon professeur de français et intime du directeur de L'Indépendant, Paul Chichet, fut également émoussé par un récit lui parfaitement politique et partisan. Je ne pouvais être qu'affecté par ce récit qui clamait que Arthur Conte avait de l'ambition dans la tête et de l'arrivisme dans le sang, puisqu'il avait réussi à débarquer un certain Louis Noguères, personnalité politique de tout premier plan et chef de file du parti dans lequel Arthur militait: le parti socialiste. Louis Noguères était de Bages, j'habitais alors à Bages. Bien que sérieusement altérée ma sympathie ne disparut pas tout à fait. Pouvait-elle être refusée à quelqu'un qui, parmi les premiers en France, avaient tissé "la Légende de Pablo Casals", livre publié aux Editions Proa, alors exilées à Perpignan et dirigées par Josep Queralt?

Bien plus tard, quand je rencontrais Arthur Conte soit pour le journal L'Indépendant soit à l'occasion de manifestations politiques, il me rappelait le nom de Joseph Queralt -auquel il me croyait apparenté , "votre père, disait-il, le premier m'a publié véritablement, je ne saurais jamais trop l'en remercier." Ainsi, à chacune des quelques rencontres que nous eûmes entre les années 1970 et 1990, nous nous saluions avec plaisir et il ne manquait pas de réitérer son devoir de mémoire envers ce qu'il estimait être une dette. J'avais beau lui indiquer que je n'avais aucune parenté avec le directeur de Proa, que j'avais eu l'occasion de me voir présenter à la Librairie Jans, de la rue des Augustins, et l'une des grandes librairies du Perpignan d'alors, il n'arrivait pas à intégrer mon démenti. Mais ma sympathie pour lui était restaurée. Elle lui était d'autant plus facilement due que, par sa façon d'enrocailler la langue de Molière et Racine, il me ressemblait beaucoup. Il nous était difficile de nous voir traités, à nous entendre parler, de "vilarets". (Gaston Bonheur ne l'était pas davantage, du côté de Narbonne). Notre parler était plutôt du côté des gros sabots que des élégantes bottines. Mais sa façon de manier la langue, en français elle roulait grave, dirait un jeune d'aujourd'hui, cependant qu'en catalan elle était dépouillée de tout accent. N'empêche que c'est en Français qu'il a fait sa  double carrière, politique et littéraire.

Politique avec un itinéraire qui n'a rien de coupable, même s'il put surprendre, voire parfois blesser celles et ceux -pour parler gaullien- qui avaient placé sa confiance "idéologique" en lui. Mais, la politique relevant quelque part des arts martiaux, il convient de savoir être plus maître de soi que collé aux autres, Arthur Conte de socialiste évoluera vers un pompidolisme viscéral et deviendra, ce que l'on ne souligne peut-être pas assez, un pro-européen tout aussi viscéral. Il suivit ensuite un chemin plus tranquillement libéral et humaniste. De ces combats électoraux, dans le département, je ne me rappelle pas beaucoup de choses sinon qu'il fut l'un des patrons de l'opposition aux communistes, et qu'il ferrailla dans la circonscription Perpignan-Prades avec André Tourné, lui cédant parfois l'écharpe de député, la lui reprenant à la consultation suivante. Arthur Conte eut l'étoffe d'un politique national. Il l'avait prouvé, sous la IV éme République puisqu'il eut en 1957 sinon un "maroquin" quelque chose qui lui ressemblait fortement étant secrétaire d'Etat à l'Industrie et au Commerce. (Depuis 1957, nous demande avec malignité une petite voix intérieure, combien de Ministres de la République a "dépêché" le pays catalan de France?). Eloigné des mouvances de la gauche, Arthur Conte qui se mit, en historien et en littérateur, à tutoyer et à discuter la politique des Grands, Yalta et Bandoungn et à consacrer également à la rédaction de récits de fiction ou autobiographiques (Certains d'entre-nous avaient espéré de lui un Cheval d'orgueil catalan!), il fut conduit à guerroyer démocratiquement pour accéder au Parlement et à la charge de certaines vice-présidences d'assemblées et commissions. Carriériste, peut-être? Mais surtout consciencieux, informé de ce tout se joue sinon à la corbeille dans les couloirs parisiens,  et s'efforçant d'être en règle avec des convictions qui, parties de certains rivages de l'utopie s'enracinaient, de plus en plus, dans un pragmatisme de parole et de fait avec vertus d'efficacité et de générosité, sous la casque de l'UDR. Arthur Conte prit la mesure qu'il y avait eu un-avant et un-après De Gaulle, oui une avant et une après indépendance algérienne. L'enfant de Salses, le fils de viticulteur (au demeurant bien marié à la fille d'une riche famille du Roussillon, les Lacassagne) s'était hissé à une hauteur politique à laquelle il n'avait certainement jamais songé lorsqu'il était en cours ou dans la cours du vieux lycée Arago, de Perpignan, ou que sur le stade i fonçait vers poteaux, ou plaquait l'ailier adversaire.

La politique, certes et le livre, et sans doute le livre plus que la politique, puisqu'il abandonna la politique pour se consacrer à la recherche en archives et à la rédaction de très nombreux ouvrages, édités par les plus honorables maisons, et ce, jusqu'à une époque très récente, ce qui, pour un auteur qui vient de nous quitter l'âge de 93 ans, lui constitue une bibliographie d'au moins une quarantaine de titres. Pas mal, pas mal! Même si quelque, sans coeur, nous glisse le nom de Claude Simon, de 7 ans son aîné, et Salséen autrement plus adulé que lui dans le royaume ou la république des Lettres avait lui mérité le Prix Nobel. Sans doute, sans doute! N'empêche, il a eu droit aux louanges, au prix, à la reconnaissance et que s'il eut un regard vers l'habit vert, il ne le détourna que pour le voir porté par sa propre fille, Dominique Bona. Mais il y a toujours eu en Arthur Contre un troisième volet d'intérêt auquel il a donné beaucoup de lui-même et depuis son "premier âge", depuis son Bernard Orsang, c'est celui de journaliste, au service du département et des idées qui traversent, secouent, ou fleurissent dans le monde et qu'il s'employa de capter, de 1972-73, ce moment où il lui confié la haute direction de l'ORTF (PDG, le premier et le seul) et où l'homme libre qu'était le catalan Arthur Conte, qui avait rué contre divers totalitarismes, ne se laissa pas mettre en cage par les tenants d'un "centralisme" peu démocratique. Antérieurement, à sa fonction à l'ORTF, Arthur Conte était député UDR, il avait appelé à sa suppléance Claude Barate, un jeune universitaire, enfant de cette petite ville de Bages, dans les Aspres. La nomination de Conte à l'ORTF coûta à Barate sa première occasion de devenir député. En cette période des seventies/eignties, Conte et Barate ensemencèrent une sensibilité politique particulière -mais revendiquée sur des affiches et des professions de foi- de "socialiste indépendant". Une sensibilité que journalistes et historiens ne savent pas percevoir mais qui, en 2014, montrera bien qu'elle existe souterrainement pour déranger tels ou tels pronostics. Oui, Arthur Conte, du côté du pragmatisme et de l'humanisme éclairé. Né, en 1920, comme le musicien chanteur Jordi Barre (1920-2011)  et le poète dramaturge Jordi Pere Cerdà (1920-2011), Arthur Conte n'accepta jamais de voir limer son accent et n'abandonna jamais le plaisir rare d'une conversation amicale dans sa langue maternelle, le català, qui tant lui faisait battre le coeur et mouiller les yeux quand il lui était donné de l'entendre. Il était fidèle et obstiné comme l'homme de la vigne exposé aux quatre vents, comme le joueur de rugby qui sait qu'il faut accepter force touches et mêlées avant de marquer l'essai. La vie d'Arthur,ce n'est  pas un essai, mais une grande et belle partie gagnée pour la mémoire et le panthéon du département des Pyrénées-Orientales. Comme le furent deux de ses prédécesseurs Alfred Sauvy (1898-1990) , l'économiste et démographe, Henri Ey (19OO-1977), le psychiatre et philosophe, et Ludovic Massé (1900-1982), l'institueur et romancier

J.Q.

 

 

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