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Met Barran
1 mars 2014

L'artiste résistant de "Mauréso's family"

Celle ou celui qui passe le seuil, de la Funéraria+, se demande à quel type de cérémonie il ou elle s'est vu.e convié. Une fin de résidence, soit, mais encore... Suis-je au théâtre, au concert, à la messe? Elle ou il, ou eux s'assoient. Le lieu, ancienne chapelle restaurée et dotée de vitraux contemporains (dus à Shirley Jaffé), est beau. On ne se lasse pas de le parcourir, même si à l'heure qu'il est vingt heures, la lumière du jour ne pénètre pas. Il y avait du courage à affronter une telle présence, une telle pression. On est jeté d'emblée dans l'art et dans l'histoire. Courage payant, car l'installation -on a vite compris qu'il ne s'agit point de banales pièces de décor, au service d'un aménagement scénique-n'est pas écrasée par la cohabitation, tout au contraire. Une succession, tout le long du mur de la chapelle, de toiles/tentures dressées. Disposition qui pourrait laisser croire à tout faiblard en histoire religieuse que nous sommes dans une allusion à un chemin de croix, sauf que le préoccupé d'énergie renouvelable pourrait y repérer une présentation de panneaux solaires. Bien sûr, il ne s'agit ni de l'un ni de l'autre. Nous sommes bien dans un "affichage" d'oeuvres plastiques, d'un même et assez grand format dues à Joseph Mauréso, artiste bien connu et deus ex machina de cette soirée de rendu de résidence. Durée une heure et quart environ. Le voici, devant le public. Ce public -format quarante personnes- intrigué comme il ne l'a peut-être jamais été. Alors théâtre, concert, messe? Coin de mystère levé: rien de cela et qui serait venu pour attendre prononcer une brillante conférence sur un travail étincelant, peut se retirer, il s'est trompé d'adresse. Joseph Mauréso a convié des...témoins. Il y a donc de l'événement qui s'agite dans les ciels et au pied des simulacres d'oiseau hiératique et moqueur, le bec interrogatif, presque collé à une vitrine d'art (Raphaël Mauréso, le fils). Et, un témoin c'est plus qu'un simple spectateur puisqu'il se trouve placé "en scène". On ne tarde pas à comprendre que l'on nous occupe avec des choses qui ont à voir avec la...création. Avec un processus créatif. Celui d'un univers et, tout particulièrement, d'un univers singulier. Un premier univers est donné au public comme préexistant, puis l'univers de l'artiste (ici un groupe) a besoin d'une temporalité, un big-bang en off donne le départ de cette séquence, repris par l'entrée en scène d'une jeune danseuse (Paola Mauréso, la fille), son "zapateo". C'est elle qui devient le point focal et le vecteur des images et des émotions. Seule, ou en dialogue avec la musique d'Alex Augé (flûte, sax...) ou avec le poème/chanté (Evelyne Mauréso, l'épouse). Seule, elle assume, aurait-on dit au XVIII° siècle, les trois ordres de la nature: le végétal, le minéral, l'animal. Tout à la conquête de l'espace. Tout à la plasticité de son corps. Tout en virtuosité de figures époustouflantes de rigueur, de souplesse, de grâce. Difficile de ne pas se laisser enlever par ce corps délivré, allégé de tout enrégimentement scolaire à un seul alphabet chorégraphique. Allégorie de l'imagination et d'une pensée artistique en acte? Certainement. Mais avant tout: présence d'une vitalité, marquant ce qu'il y a de diurne et de nocturne, d'élan et de retenue, de vrai et de simulé, de fragile et de téméraire, de léger et d'appuyé, de joie et de souffrance dans toute vie. Que l'on décline celle-ci en existence ou qu'on l'hyperbolise en destin. Notre danseuse est une fée à métamorphoses. La danse nous est offerte comme véhicule et passeport de voyage au pays des racines, des lianes, des attaches, des ruptures, des fuites, des exils. Autant de toutes choses, de signes qui peuvent se repérer comme les expressions dynamisées des contenus des toiles de Joseph Mauréso. Du jaillissement, jusqu'au tourbillon. La danse les fait parler, donnant de l'accent aux silences. Ces mises en correspondances sont les solides étais de l'opéra de la "Maureso's family" (comme l'on dirait aisément dans les pays anglo-saxons). Correspondances pour tenter de s'arracher à une dimension par trop univoque ou monomaniaque de la pratique artistique enfermée dans un unique pré carré: la peinture, la sculpture, le dessin, la musique, la poésie, la danse. La recherche des correspondances (images, objets, mots, sons) aboutit à la construction d'une échelle d'évasion poussant l'artiste à transcender une obsession nouée par les certitudes et les allégeances et auquel la société, l'histoire et la culture voudraient trop souvent confiner l'individu. Est-cette "obsession" qui expliquerait le parti-pris d'un univers en noir/gris dans lequel se déploie la dramaturgie du dévoilement qui n'est pas le geste banal et parfois ridicule du dévoilement d'une plaque commémorative. L'événement auquel il nous a été donné d'assister, et il nous faut le reconnaître avec intérêt et des instants de pure fascination -on n'entendait aucune mouche de distraction voler- était d'autant plus remarquable et novateur, donc rare et singulier qu'il ne se réduisait pas uniquement au dévoilement d'un processus créatif, nourri de mixités et d'entrelacs (les troubadours occitans avaient un très joli terme pour dire cela: "entrebescar"). Joseph Mauréso a réussi à intégrer, comme éléments constitutifs de l'oeuvre, sa visée théorique et son cheminement explorateur ainsi que la lecture amicale et critique (Joëlle Réthoré) de ce qui est un magistral "work in progress". Qu'il revendique comme posture de liberté et de résistance. A chacun son territoire! Artiste en résistance, c'est dit! En tout cas, l'autre soir, à la Funéraria nous avons eu la démonstration que peuvent co-exister dans un même événement le sens et l'émotion, que l'intelligible et le sensible, que Gilles Deleuze et Antonio Machado peuvent faire bon ménage dans un questionnement aigu et charnu du but de l'Art.. Et que, sans doute, cela tient, au bon respect et au bon usage que l'on veut faire de l'art du tissage des langages et des techniques. Il n'y a pas à désespérer de nos artistes!

Le Présan, témoin.

+ La Funeraria est une petite chapelle qui s'ouvre dans le Campo santo de la Ville de Perpignan, dans les Pyrénées Orientales. Les Mauréso y ont bénéficié d'une résidence artistique de près de deux mois. Ils ont présenté les résultats de leur travail au cours de quatre séances. Deux cette semaine et deux la semaine précédente. L'exiguité du lieu a obligé à n'accueillir qu'une quarantaine personnes à chaque fois.

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