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Met Barran
4 mars 2014

Bourgoisie perpignanaise, carnaval & charité

(...) Le Carnaval! On y pensait, on le préparait avec le Comité des fêtes, d'une année sur l'autre. Il fallait plusieurs mois pour mener à bien son organisation générale, ses chars, ses masques, ses costumes, ses orchestres et j'en passe. Le but officiel de la fête était la charité, les recettes destinées aux pauvres. Ainsi chacun pouvait-il s'amuser sans remords.

  La plupart de ceux qui participaient au défilé avaient soit acheté, soit loué, soit fabriqué eux-mêmes leurs costumes. Il fallait, de toutes manières respecter les consignes du Comité des Fêtes. Pour tous les dominos, du velours, de la soie, surtout du satin, seuls les Pierrots et les Colombines avaient droit à de la flanelle. les marchands offraient leurs nouveautés par voie de presse. Une mantille en dentelle valait en 1890 1, 45 francs.

  Presque tous ceux qui participaient y au défilé étaient masqués. Certains soirs de Corso il y avait "intrigue", c'est-à-dire que certains masques, se glissant derrière les barrières, s'approchaient incognito de ceux qu'ils connaissaient et dévoilaient à leur sujet des choses que ceux-ci eussent préféré voir demeurer cachées. Il y eut des Corsos blancs, des corsos tricolores et d'autres multicolores, ils s'achevaient le plus souvent par une ronde folle sur la place de la Loge.

  Un des Carnavals les plus réussis fut celui de Carnaval VI en janvier 1880. Il était inspiré de la Course de Taureaux. Les prix furent distribués à de nombreux groupes de masques. La cavalcade comptait dix chars et une somptueuse musique militaire. Le soir eut lieu une retraite aux flambeaux défilant entre des pelotons de gendarmes et de soldats en armes avec le concours de trompettes et de la musique du 12° de ligne, batteries et sonneries, la Compagnie des Sapeurs pompiers, l'Harmonie de Perpignan, les gardes du corps de S.M. Carnaval, des picadors, des banderilleros et encore des soldats, encore des masques, des drapeaux, des lanternes vénitiennes, des torches, des bâtons lumineux. La foule a envahi la place de la Loge, il y avait du monde à toutes les fenêtres, et sur la moindre aspérité des façades. Carnaval VI était rutilant dans son habit de lumière, chamarré, doré, passementé, avec une tête d'Espagnol parfaitement réussie.Il a fait une deuxième sortie pour un corso blanc avec un grand écriteau informant la foule: "gentes demoiselles, ardents jeunes gens, vieilles filles coquettes, vieux paillards, accourez." Prix d'entrée 0, 25 francs.

  En 1900, le corso du Mardi gras eut lieu aux Platanes suivi, deux jours plus tard, d'une cavalcade et d'un bal du théâtre rose et noir. De ,nombreux chars, Montanyes Regalades, Les mousquetaires de la reine, la Cobla des citrouilles et la Femme à barbe sur un arbre. Des commissaires priseurs parcoururent les rues à cheval recueillant des oboles pour les pauvres. En ville, les commerçants avaient fait des efforts pour satisfaire tout le monde: " A la Chevrette, place de la halle au blé" se trouvent toutes les nouveautés pour bals et soirées ainsi que des tissus de gaze or et argent pour les travestissements."

  La bourgeoisie de la ville aménage aux Platanes des "loggias" où l'on se retrouve en famille. A minuit, les "dames comme il faut" s'en vont, à moins d'être sérieusement gardées. Les masques s'infiltrent partout.

  Certains déroulement de cavalcade eurent lieu sous une tramontane déchaînée et glacée. Les masques n'en sautèrent que plus haut pour se réchauffer et achevèrent la soirée sur la Loge avec les bonds du quadrille roussillonnais.

  Un autre carnaval: la concentration avait eu lieu place de l'Arsenal: pancartes numérotées pour les groupes de gendarmes, de police et l'odre de passage des chars. Trois reines arrivèrent dur des mail-coach. Un coup de canon et la cavalcade part pour se dérouler par les rues de la Fusterie, des Marchands, Laborie, de l'Argenterie et, enfin, la Loge. A tous les balcons des jeunes filles joyeuses et des dames emmitouflées dans leurs fourrures car il fait très froid. Devant elles passent les gendarmes à cheval, les trompettes, les portes fanions. Il y a de nombreux chars: La Boutifare, le Char di Canigou, La chasse au Tigre, les petits danseurs catalans, Le char des reines, des masques, Pierrots, Pierrettes, clowns, clownesses. Un des plus beaux chars est celui de Benjamin Margouet, trésorier du Comité des Fêtes, c'est un char quêteur.Le défilé s'achève avec un peloton de cinquante soldats et des gendarmes à cheval.

  Ce n'était pas tout. Il y avait encore dans ce temps de carnaval des batailles de fleurs et les fameuses batailles de dragées du mercredi des Cendres. Les chars de batailles de fleurs étaient en général des voitures à chevaux, landaus, berlines, calèches, breacks à deux chevaux, l'ensemble représentant un privilège de la bouregosie. Il y avait ce jour-là pour les dames, grande débauche de toilettes, immenses chapeaux garnis de rosses, des robes longues ornées de rubans et de dentelles de Chantilly. Des mousselines, du taffetas plissé. Les gants étaient longs et blancs en chevreau glacé comme les fins souliers. Pour se garder du soleil au sortir de la loggia une ombrelle faite d'une soie imprime de roses et de pensées. La préparation avait duré plus d'un mois, tous les jardins avaient été dévalisés. Il fallait disposer d'une cour intérieure pour décorer ces équipages, l'une d'elles se trouvait rue des Abreuvoirs. Le mercredi des Cendres avait lieu, en dépit du rite religieux de pénitence, la bataille dite des dragées. Les dragées, de petites boules de plâtre blanc avec lesquelles on se bombardait, un masque d'escrime sur le visage, un sac de dragées de plâtre dans une main, une palette de lancement dans l'autre.

  Ceux qui se trouvaient dans la rue passaient le plus près possible des balcons et décochaient leurs munitions sur les jeunes filles. Ce jour-là également, tout ce qui érair "convenable" disparaissait à minuit.

  Et le carnaval lui-même disparut. Effacé par la guerre en 1915 d'abord en 1940 ensuite. Rétabli de 1945 à 1950, il fut enfin définitivement supprimé. (...)

Ces beaux souvenirs de Carnavals très lointains pour un adolescent perpignanais de 2014 sont extraits (pp 221-23) de l'ouvrage "Clotilde et le désamour" de Claude-Salvy, édité à Perpignan en 1984 par "Le Publicateur".

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