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Met Barran
17 août 2014

Le grand, le moyen et le petit

Tenez voici un puits. Imaginez-le monumental. Peut-être même d'une architecture qui lui a mérité une classification. Mais la question n'est pas là. Le puits, le voyez-vous? Et remarquez-vous, comme moi, les trois hommes qui s'en approchent, à la même cadence pas, vêtus du même costume sombre. Viennent-ils au puits, comme à un rendez-vous rituel, pour parler des choses du monde et trancher sur le sort d'un tel ou d'une telle? Pour réveiller quelques vérités endormies en son fond et, écoutant leur sagesse, se prévenir de quelque désastre? Ou pour se distraire en récitant dans ce joli décor des vers de Tristan Corbière? Cette troisième hypothèse pourrait être la bonne. Tous les trois sont à présent au bord du puits. On dirait qu'ils se parlent, mais de là où je regarde, moi l'artifex, je ne puis entendre, je soupçonne -par un mouvement de tête, j'induis -par un geste de la main, j'échafaude, prudemment, une suite. Le trio au costume sombre n'est pas resté plus d'un quart de minute, groupé, au bord du puits. La décision, me paraît avoir été prise. Le moyen des trois, par la taille s'entend, saute sur le bord de margelle, y installe confortablement son postérieur et du mouvement de ces lèvres que je devine à l'agitation de ses pieds je conclus qu'il sifflote ou chante. Le plus petit lui aussi bondit sur la margelle mais contrairement à son pote (il faut les imaginer tous les trois potes, sinon mon récit ne tient pas) ne s'assied pas, il regard vers le fond du puits et ne tarde guère à s'y précipiter, appelé par quelque noire sirène. Je sursaute à cette disparition? Mais que fait le troisième, le dernier de mes bonshommes? Je le guette. Il fait comme si de rien n'était. Quand le moyen s'est assis et a siffloté, il n'a (apparemment) rien dit, ni fait (je l'aurais perçu). Quand le petit est parti, tête en avant, vers les profondeurs, il n'a pas crié (ça je l'aurais entendu!), il n'a pas gesticulé (j'aurais compris qu'il désapprouvait). Le moyen, qui ne se lasse pas de siffloter comme s'il avait fini sa dure journée de labeur ou, mieux, gagné le jack-pot qui le met à l'abri des prochains orages de la vie, le moyen tourne son visage, me semble-t-il, je le vois s'allonger, vers le plus grand des trois, ou plutôt des deux qui restent -les vivants, et que vois-je (que crois-je voir), comme si le top départ venait d'être donné par le moyen en costume sombre assis sur le rebord de la margelle du puits, le grand en costume sombre qui se mit à marcher, à tourner, pareil à un automate autour du puits, il fait un tour et puis deux et puis trois, et davantage encore (vieux délices de noria) et,  à chaque fois qu'il passe devant son pote assis, celui-ci sifflote et l'applaudit. Le plus grand des trois hommes en costume sombre, le plus grand des deux survivants (puisque l'un d'entrre eux s'était volontairement esquivé du manège qu'ils avaient, me semblait-il, pourtant bâti à trois), tourna, tourna et tourne encore. Un jour son pote assis, certainement usé à tant siffloter et applaudir, quitta la position  assise pour se dégourdir les jambes, il s'éloigna du puits, essaimant des légions de fourmis, et sortit de mon champ visuel. Je ne le vis plus revenir vers le puits prétexte, autour duquel cependant le plus grand -qui, je dus me résoudre à l'admettre avec mon raisonnement distancié avant la fin du récit, n'était pas le plus malin des deux hommes à costume sombre, ô pardon! des trois hommes à costume sombre puisqu'ils étaient au départ -comme convenu dans le protocole tacite du récit- bien trois: un grand, un moyen, un petit, et que la justice littéraire aime, présentement du moins, que l'on ne passe pas les morts par pertes et fracas car si les morts ne ressuscitent pas, "ils existent,"comme nous le rappelle un fort poème du poète grec Yannis Ritsos.

 

proposé par Y. Le Pire et M. Le Pis

de retour d'excursion sous-marine

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