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Met Barran
15 novembre 2017

Françoise Héritier n'est plus, son Goût des mots demeure

Une grande dame, Françoise Héritier, vient de nous quitter ce 15 novembre. Le monde de l'anthropologie est en deuil. Elle aura été comme l'alter ego féminin de Claude Lévi-Strauss. Femme de science et humaniste jusqu'au bout de ses rêves. Femme de laboratoire et citoyenne. Mais également une épicurienne du langage, envers et contre tous les lieux communs, amoureuse du dessus comme du dessous des mots et de la ribambelle de leurs réseaux... Pour comprendre les bonheurs ou les ratés des expressions, d'une émotion, d'une idée, d'une suggestion, d'une affirmation. Pour se convaincre comment une langue (maternelle d'abord et toute autre aussi apprise) structure nos façons de percevoir, de concevoir et d'être. Et que l'on ne se débarrasse pas de sa.ses langue.s comme on change de paires de chaussettes. Langue jouissive jusque dans ses (ineffaçables) atavismes expressifs: condition d'inter-compréhension ne serait-ce que dans les espaces poétiques, ludiques, malicieux.

François Héritier n'est plus. Elle avait 84 ans et, pour nous lecteurs occasionnels ravis, nous laisse "Le Goût des mots" dont elle a fait le titre et la pulpe d'un charmant, délicieux, tonifiant et indispensable ouvrage qu'elle signa en 2013 chez Odile Jacob. Page 54  nous lisons: "Rhododendron est un dragon bouffi qui a trop de pattes et pas assez de feu". Page 55: "Lamentable est un pauvre chien pouilleux". Page 59: "Saperlipopette fait la culbute cul par-dessus tête". Page 61: "Balai est un balèze qui se tient raide." Page 64: "Querelle est un derrière de lapin qui court dans l'herbe". Page 65: "Anachorète garde des brebis et porte des braies." Ce n'est là qu'un bien léger échantillon d'un livre qui recense, détaille, énumère comme pour dresser un glossaire, ou annexe de notes mais qui ne sont ici présentées ni alphabétiquement ni numérotées. Des figures, des clichés, du "tout-fait". Autre échantillon dans un tout autre registre: Mère au bord de la crise de nerf, récit

                 "Ce gamin est plus éveillé qu'une portée de souris. Il tuerait père et mère pour n'en faire qu'à sa tête. Il faut voir comme il se débat comme un beau diable quand on le prend à rebrousse-poil. Pourtant, à le voir, on lui donnerait le Bon Dieu sans confession, quand il fait sa voix douce comme un petit Jésus en culotte de velours...Ses manières sont cousues de fil blanc, mais ça marche, avec un sourire jusqu'aux oreilles...Mais il a le diable au corps, il ferait se battre des montagnes. Joli comme un page pourtant et apparemment tranquille comme Baptiste, mais il vous en fait voir de toutes les couleurs. Lui faire les gros yeux, c'est comme parler à un sourde. Il file sans demander son reste ou vous raconte des histoires à dormir debout. Il saute comme un cabri, ne tient pas en place et il rit sous cape quand il peut jouer les chiens dans un jeu de quilles. Il vous fait tourner en bourrique. Il faudrait lui boire dans la main. Personne n'est à la noce avec lui. Si on lui passe un savon de première, il s'en moque comme de sa première chemise. Il fait parfois des yeux de biche et sa chattemite, ce qui vus fait fondre. Il vous saute au cou et vous embrasse comme du bon pain. Ah! il sait vous mettre sur le qui-vive et vous faire marcher, le garnement? (pages 100 et 101).

                 Un régal du prêt-à-porter. Fait main, comme de la broderie, ou du tissage, de la mosaïque ou... de la musique. Une dentellière du ready-made. Mais il y a encore bien plus dans ce thésaurus (non exhaustif car chaque lecteur peut y ajouter ses biens propres langagiers, des pages à la fin du livre sont prévues à cet effet). "Le Goût des mots" est un livre qui fait du bien, tant sur le plan lexicographique que sémantique. Car s'il oeuvre sur un fonds ou viatique de langue commun, il le fait avec des connotations personnelles et des échos émotionnels singuliers: ceux de Françoise Héritier l'auteure. Un livre propédeutique à la vraie connaissance, et de consolation face aux exercices littéraire plats.

xxx

 

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