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Met Barran
25 juillet 2013

Léo Ferré à Canet plage

Frères et soeurs de la côte qui tant aimez marcher sur le sable, évitez le trop brûlant si vous ne voulez pas que les plantes de vos pieds soient cramés sur un air de sardine.

Le soleil, souverain bienveillant, ne s'offusque jamais de ce qu'on s'avance vers lui le panama enfoncé jusqu'aux oreilles, et il ne nous force, seigneur parmi les seigneurs, à nulle révérence pourvu que nous tolérions quelques unes de ses intermittentes et folles ardeurs.

Pourquoi sont-ils si friands de rouleaux mes contemporains qui surfent.. Il est des appétits que je ne comprends pas disait une méduse en bikini à une vive sans gêne.

Je sais...la mer, les petits bateaux, les grands paquebots...les îles extraordinaires...ces pays aux hibiscus millénaires...et, elle, là-bas, assise sur ce rocher, cette longue silhouette, chevelure au vent, jouant de la harpe ou... de la cithare, j'entends une mélodie mais ne reconnaît pas l'instrument...je sais, en cette heure, ma tête ne se prête pas au voyage dont rêvent mes yeux.

Ils sont des milliers, des milliards me dit-on, ils vont et viennent, les poches vides, les mains sans papiers, la plupart discrets, quelques uns avec un orgueil piquant ou mordant, ils vont et viennent, se moquant des couleurs locales, des hymnes et des accents, ils vont et viennent, et aimeraient qu'on continue de les laisser tranquilles, les insectes!

Léo, Léo Ferré+, la première fois que je l'ai vu en chair et en os, en life et en live comme vous dites aujourd'hui, c'était dans un casino. Celui, flambant neuf de Canet en Roussillon. Je connaissais des chansons de Léo- j'avais déjà fait mon tiercé: 1) Léo, 2) Jacques et 3) Georges. (Inutile d'en préciser les noms, vous avez compris.) Il y avait quelques raisons à ça, l'histoire personnelle et la sensibilité. Ne le disait-on pas anarchiste? N'avait-il pas écrit le "Bateau espagnol" et..."Merde à Vauban"? Ne faisait-il pas entendre un rare "Ni dieu ni maître". C'était, c'est sûr, avant 1968. Nous n'étions pas tous Yéyé. Par le journal, j'avais appris cette aubaine (Etait-ce la toute première fois qu'il venait par chez nous, je ne saurais dire?). Je convainquis deux jeunes amis (Guy et Jean-Paul+), nous nous mîmes une idée en tête. Lui demander de venir chanter "dans le village que nous habitions". Nous passâmes les portes du Casino avec roulette et machines à sous (lieu de divertissement bourgeois) avec notre mission. Nous payâmes notre dû et nous nous assîmes à une table, pour voir et consommer. Elle était assez proche du demi-cercle de lumière dans lequel l'artiste (non ce n'était pas une vedette de bus palladium mais un poète et un musicien) allait se produire. Il y avait du monde et, très tôt, plus une place de disponible. (Il me sembla que nous étions les plus jeunes du public). Le maître des lieux (pourquoi pas graine d'ananar lui aussi) tenant à garder jalousement sa place et se refusait aux allées et venues, comme si pour lui, comme pour nous, c'était nuit d'événement, comme si lui, plus informé que nous dans ce métier de casino/cabaret, s'attendait à de l'extraordinaire. Pour nous, l'extraordinaire allait s'incarner d'une seconde à l'autre, paraître. Le pianiste de Léo venait de s'installer. Dès la première chanson, ce fut extraordinaire. On touchait sa voix et les expressions de son visage. Tous les bonheurs de riche, d'une première loge, d'un direct à notre portée.  La mémoire ne me rend pas le déroulé exact du programme, mais cela n'est point nécessaire. L'essentiel est que nous fûmes comblés. Cet anar (je le savais proche de Maurice Joyeux), ma foi, même dans un Casino ça avait du bon et surtout apportait un grand bouquet de talents. Vint l'heure de ce que l'on appelle au rugby la mi-temps et au spectacle l'entracte. Nous nous rappelâmes alors notre mission. C'était le moment de nous y coller: nous ne voulions pas revenir bredouilles au village. Grâce à la complicité d'un vieux garçon du casino (Avait-il été ému par l'enthousiasme que nous manifestions à vouloir parler à M. Ferré? Sans doute), notre trio put accéder au coin coulisses qui lui tenait lieu de loge. Léo se rafraîchissait, avec à ses côtés une dame affairée, un peu sévère. C'est elle qui s'approcha de nous. Comme si elle sentait que nous allions, en dignes petits provinciaux mal décrottés, les incommoder par des questions stupides et intéressées: des dédicaces. L'un de nous trois, Jean-Paul vraisemblablement, c'était le plus déluré, a du tenter de lui prouver que nous étions "des sérieux, pas des enquiquineurs", des admirateurs "de longue date déjà". Sur ce, Léo, la serviette avec laquelle il avait épongé son front encore à  la main, est venu à nous, en disant "laisse, Madeleine, ils m'ont l'air sympa". "Que voulez-vous donc ? Je ne puis vous garder longtemps, il faut que je récupère." Nous lui exposâmes -nous complétant au fur et à mesure- le but de notre mission: Accepterait-il de venir chanter dans le petit village de Bages pour notre  association dite "Charles Fourier"? A l'énoncé de ce nom, Léo sourit et me parut acquis? Sa réponse: C'est d'accord à une condition "je vous demande un prix unique d'entrée, un prix populaire, pas plus de 5 F." Pour la date, ajouta-t-il,  voir après le concert avec "Madeleine, ma femme. C'est elle qui s'occupe de tout". Il s'apprêtait à nous tourner le dos pour rejoindre un technicien qui lui faisait signe, quand j'osais lui demander si, ce soir, il chanterait "Franco la muerte" dont j'avais entendu parler par des amis de Toulouse (La chanson est de 1964). Il me regarda, avec ce même petit sourire que lui avait provoqué le nom de Charles Fourier -il y avait des airs d'affinité entre lui et nous- et sa réponse fut, après avoir tiré une bouffée de sa Celtique : "Non, je n'avais pas prévu cette chanson dans mon programme de ce soir, je ne l'avais pas envisagé pour une soirée casino, le divertissement doit primer et je m'y tiendrais." Après que nous l'ayons remercié pour sa gentille disponibilité, il nous serra la main à chacun des trois. Nous regagnâmes, le coeur empli et ravi, nos places. Des voisins de table nous demandèrent ce que nous étions allés faire "derrière, qu'y avait-il à voir?". Motus, confidentiel défense!  Nous étions satisfaits -et ô combien du court entretien que l'homme de "la cigarette que l'on fume à l'heure démocrate" venanit de nous accorder nous qui n'avions dans notre poche aucune carte de visite.  Nous commandâmes une boisson (ce fut le deuxième et dernier cocktail de la soirée, nos budgets étaient serrés, mais nous étions fiérots).  Premières notes de piano. Notre artiste va se montrer à nouveau, et interpréter haut la main, nous le savons, nous le voulons, il est des nôtres, sa deuxième partie. Il est là. Sobrement et de gris vêtu, face à nous. Droit comme quelqu'un qui se prépare pour une déclaration solennelle. Micro en main, il nous dévisage, nous fixe, puis lance à tout le public: "Je vais, Mesdames et Messieurs, cher public, faire ce que je n'avais pas choisi de faire, ce qui n'est pas écrit sur votre programme de cette soirée, mais... comme j'ai été touché par la visite que viennent de me faire ces trois jeunes (et il nous désigna expressément), oui ces trois jeunes rougissants, là, je veux leur dédier l'une de mes nouvelles chansons." Nous, gênés par cette irruption de popularité, ne pouvions imaginer que la chanson serait "Franco la muerte" et... ce fut  (après un un mot à l'oreille de son pianiste qui fit oui d'un léger mouvement d'épaule- "Franco la muerte". (Cela glace et coupe encore en moi)

"L'heure n'est plus au flamenco/ Deshonoré Mister Franco/ Nous vivons l'heure des couteaux/ Nous sommes à l'heure de Grimau"

La chanson fut applaudie. Malgré sa violence, elle avait rencontré l'adhésion du public. La frontière n'était pas loin.  Le "T'es pas Lorca t'es sa rature"  avait littéralement arraché certains spectateurs de leurs chaises, et j'ai encore en mémoire l'image du directeur du Casino auquel il manquait une main frappant avec une vivacité joyeuse sa cuisse avec sa main restante. La deuxième partie s'écoula de manière triomphale. Je ne sais pourquoi, il n'est pas interdit de penser, dans un regard rétrospectif, que nous fûmes pour quelque chose dans la réussite de cette soirée. Cela dit, bien sûr, sans rien retrancher au génie poétique et émotionnel de M. Léo Ferré, littéralement assailli à la fin pour des congratulations et achats de 33 trs avec dédicaces. Nous nous arrangêames pour le saluer et obtenir de lui son numéro de téléphone (avec Madeleine, ils habitaient alors à Gourdon, dans le Lot). Oui, c'était bien avant 1968. Et "C'est extra" titre de la marée haute radiophonique et tous publics de Léo Ferré est de 1969. 

L'aile du Souvenir.

+ Léo Ferré (24 août 1916- 14 juillet 1993). Ne pas se déshabituer de l'écouter.

++ Jean-Paul. A savoir Jean-Paul Giné (1947-1993) qui sous le nom de Joan Pau Giné a été l'un des représentants les plus libres et colorés de la chanson catalane populaire. Giné est mort accidentellement peu de semaines avant Léo Ferré.

 

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