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Met Barran
28 janvier 2017

A l'adresse d'un presqu'ami

Sacré Gabriel...

En son temps, dans une "Saison en enfer" et dans le texte "mauvais sang", Arthur Rimbaud écrivait "La main à plume vaut la main à charrue", sans chercher à annexer à tout prix le grand voyant, on peut remarquer que notre compatriote l'artiste catalan Pere Figueres dans son trajet illustre que "La ma a ploma val la ma a arada". Pere Figueres, le vigneron, poète, chanteur, musicien, plasticien. Pere Figueres, l'un des artisans les plus modestes mais non les moins efficaces du domaine culturel nord català. Pere Figueres  qui, en cette année 2017, et quarantième anniversaire de la sortie de son Ier disque, en 1977, nous offre non pas quelque nouveau CD ou DVD mais un livre dont l'originalité n'est pas seulement dans le titre qu'il lui a donné, le chiffre 9, mais dans les 45 pierres précieuses qu'il contient, pierres précieuses qui se transforment en autant de parfums, d'élixirs, d'images  dès qu'on l'ouvre et qui confirme un auteur bien avec et dans sa langue, qui n'écrit pas pour phraser et ne rien dire. A-t-il lu ce quatrain de Nâzim Hikmet (je sais bien, Gabriel, il n'était pas catalan, mais turc): "Dans le vide pourrit le Verbe/ S'il ne sort de la terre/ S'il ne s'enfonce dans la terre/ S'il n'y ancre ses racines" (in revue Europe juin-juillet 2002). Qu'il l'ait lu ou pas, il est évident que sa langue à lui est bien nourrie, bien vivante,  non ce n'est pas une parole en l'air. Sa langue d'expression est le catalan. Non pas un catalan négligé par les fées de la modernité, ni un catalan emmenotté par des normes trop strictes, mais un catalan vrai, allant de soi (qui allait encore vraiment de soi il y a disons soixante ans) dans la manière de lire et dire sa relation aux autres et au monde. Pere Figueres, dans son travail d'artiste, ne s'est jamais laissé déloger de sa langue maternelle, s'adressant à qui sait et veut l'entendre sans souci d'appartenir au majoritaire, au dominant pour y être applaudi et loué. Ce catalan n'est pas pour lui  une seconde ou tierce langue, non plus une langue refuge, de consolation ni, du fait de certains implacables considérants socio-démographiques, une langue de compétition internationale où les palmarès se taillent en millions de livres ou de disques vendus, en millions de vues ou de like(s)...

D'aucuns s'étonnant que dans les paysages persistent quelques ruisselets de source traditionnelle et parmi ces étonnés, il y a  celles et ceux qui veulent les recouvrir ou les mettre définitivement à sec mais aussi celles et ceux qui agissent pour qu'ils demeurent longtemps visibles, audibles, aimables et plaisants. Pere Figueres, né à Ponteilla en 1950, appartient à cette seconde catégorie. Celle des gens qui retroussent leurs manches et oeuvrent et non celle des persifleurs et contempteurs, parce qu'elles et/ou ils ne comprennent pas leurs actions qui leur paraissent inutiles, ou médiocres, ou ridicules, dans le meilleur des cas folkloriques, c'est-à-dire désuètes. Il y a pourtant de la beauté et non (comme tu le crois Gabriel) un soupçon de névrose et une dérive communautaire dans l'affirmation obstinée d'un attachement à sa paroisse, qu'elle soit localité ou langue, héritée ou adoptée. Un jour Pablo Neruda (il n'était pas catalan, Gabriel, mais chilien) s'était demandé: "Porqué los árboles esconden,/ El esplendor de sus raíces?" ("Libro de las preguntas"). Et Pere Figueres, sur ses terres et sentiers de poésie, met au jour, depuis longtemps, cette splendeur de l'Arbre roussillonnais catalan... Vu de Sirius ou de Gasquet,  cela peut sembler un point bien négligeable. A l'échelle terrestre des marges ou des périphéries, à l'aune sociale des minoritaires (que des sots estiment mineurs) et humbles (que des ignorants imaginent sans désir ni ambition), à la hauteur des "ordinaires" de l'éphéméride et des "journaliers" de la vie, dont l'universel n'est pas un giga-nombril mais cette  porte jamais blindée ou verrouillée à double tour, Pere Figueres est un hospitalier et un compagnon d'humanité. Mais qui, dans cet aujourd'hui livré aux robots, aux milliards et aux hashtags déglingueurs sait ce que compagnonnage veut dire? Pere Figueres, ni héraut ni modèle, artiste, poète, cantautor, véhicule depuis des décennies des "olors de vida", crépitant d'amour et d'amitié. La langue des Amade, Pons et Cerdà, celle de Jaume Figuerola et de Joan Pau Giné (ses compagnons d'entrée en scène au milieu des années 1960) l'aime. Les arbres l'aiment, les oiseaux l'aiment. Avec ses doigts qui connaissent toutes les saisons du plein air, sa plume, sa musique et sa voix, il s'en montre digne. Sur une scène, ou sur une feuille de papier.

Il n'y a que les poètes pour servir la langue des oiseaux et la langue des arbres, il n'y a que les poètes pour déceler la peine de coeur d'un bouvreuil, ou le blues d'un chêne-liège...et y répondre. Il n'y a que Pere Figueres pour mettre un homme et un pays dans un livre, et quel livre:"9". Si l'on m'avait sollicité pour proposer un incipit à ce recueil, j'aurais conseillé ces mots du grand Miquel Martí i Pol (lui Gabriel est catalan):  "L'home és perfà coneixent-se, i un dels instruments més eficaços per dur a terme aquest coneixement és la poesia." (Què és la poesia?)

xxx

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