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Met Barran
15 février 2017

Le capital lyrique que lègue Jordi Pere Cerdà

C'était l'une de ses passions fortes. Il s'y consacra de nombreuses années. Écoutant, prospectant, interrogeant, transcrivant, enregistrant...et constituant un thésaurus (ce qui aujourd'hui nous apparaît comme tel) une collection inestimable de chants de la terre: de ces terres-ci de Cerdagne et de Roussillon. C'est parce qu'il était amoureux des siens, de son pays, de ses gens, de leur passé, de leurs saisons et de leurs chansons, et parce qu'il était, d'autre part, lucide sur la marche du temps et ses transformations, avec ses nouveautés mais aussi (tous les hommes n'y sont pas sensibles, mais lui le fût) ses oublis, ses pertes ou ses altérations. d'un moment calendaire, d'un évènement familial, d'une fête votive que le poète Jordi Pere Cerdà (Antoine Cayrol- pour l'état-civil, se fit folkloriste (mais au sens de Van Gennep ou de Joan Amades), ethnographe plaît davantage aujourd'hui, se documentant et enquêtant sur ce versant de l'oralité populaire qu'est la chanson -de terroir (dit pour faire bisquer quelques addictes à l'universel). Poète et dramaturge, Cerdà était sensible au vers chanté et à la voix (peut-être même se rêva-t-il à un certain moment chanteur ou à tout le moins rapsode). Nous voulons dire qu'il était du côté du sensoriel et du sensible, de l'émotion, de ce qui meut le coeur, le met en joie -ou l'attriste, le porte sur une place en fête -ou sur un prie-dieu. La chanson populaire et rurale en sait long sur l'intelligence, l'imagination et  l'"âme" d'un peuple, et en dit long, si on l'écoute, sur ce peuple, de Cerdagne et de Roussillon. Dans les champs de l'oralité, et plus particulièrement de la chanson, mots et mélodies, rimes et rythmes, couplets et refrains, il nous apparaît (nous le savions  collectionneur d'endurance, minutieux et studieux), "chasseur" d'or lyrique  et passeur, et ce que notre passeur (ce génie du lieu, faudrait-il dire) dépose dans le patrimoine culturel catalan (écrit et chanté) doit être salué comme une "réjouissance collective" (le mot est emprunté à un certain Sartre. Hélas, Jordi Pere Cerdà (disparu à la fin de l'été 2011) n'a pas eu le temps d'offrir au public ce capital immatériel patiemment réuni. Celui-là même que Editorial Mediterrània de Barcelona met entre nos mains en ce mois de février 2017. Très nombreux peuvent en être les "héritiers".

Au coeur de ce livre de 180 pages avec en couverture un portrait de Cerdà en jeune berger, un travail sans pareil depuis longtemps  sur les "Cants de Cerdanya et de Rosselló". A la fois matériel d'enquête et fruits de l'enquête. Auprès d'informateurs: dans l'entour parental d'Antoine Cayrol et de son épouse et, bien sûr, d'autres personnes du département. Un échantillon de 21 personnes, nommées et localisées. Autant de maillons de la transmission d'une part du "cançoner"  indigène.  Secrets ou vestiges, précieuses survivances, mises au jour qui plongent leurs racines dans des époques anciennes. Pièces uniques  ou variantes, préservées dans un foyer, sauvées par une mémoire. trois exemples: "M'estima més soleta ser", "els fadrins de la Valentona", "Som vingut de llunyes terres". Au total: 88 titres de "cants" collectés; 43 "cants" avec leurs paroles - imprimées (p 118-179) et enregistrées (24-CD1, 19-CD2), toutes interprétées par Jordi Pere Cerdà, mais... seulement 7 bénéficiant d'un appoint musical et instrumental. Cette partie (explicitée par des notes méthodologiques et critiques) est illustrée par une dizaine de photographies -particulièrement émouvantes. Petite galerie d'ancêtres.  Sur l'une d'entre elles, on voit Josep-Sebastià Pons aux côtés de Jordi Pere Cerdà et Francesc Català. Une autre est un portrait de l'écrivain Josianne Cabanas, aujourd'hui conseillère municipale déléguée au patrimoine à la Ville de Perpignan, maillon de maillon d'une chaîne de transmission. Dans laquelle certains verront une "chaîne de bonheur". Accompagne ce travail d'archive, une brillante et érudite analyse chronologique etcomparative, bien inscrite dans l'histoire quotidienne d'un pays et habitée par la tendresse humaniste de son auteur. 

Les éditeurs ont tenu à faire précéder ces "Cants de Cerdanya et de Rosselló" par une étude ancienne mais particulièrement documentée (et toujours intéressante pour un lecteur de 2017) sur "La vida dels pastors segons la cançó popular". Elle fit l'objet d'une conférence (heureusement gravée), prononcée plusieurs fois, d'abord en 1956, puis en 1961. A cette deuxième occasion, J.-.S. Pons qui était auditeur salua élogieusement le conférencier. "La vida dels pastors"  et "cants populars" constituent le diptyque d'un Jordi Pere Cerdà ethnomusicologue -dont on peut regretter qu'il n'ait jamais (été) engagé dans une recherche universitaire à finalité doctorale. Editorial Mediterrània et les professeurs Jordi Julià (p.21-31) et Pere Ballart (Universitat autonòma de Barcelona) nous en montrent aujourd'hui de façon claire, ordonnée et objective, toute l'ampleur, la puissance, la subtilité et le prix, qui n'est pas seulement une somme d'archéologie sonore rurale et montagnarde. Ces "cants" par la grâce de chanteurs et musiciens pourraient refleurir sur des lèvres  et toucher oreilles et coeurs d'aujourd'hui. Spécialistes de poésie contemporaine, et séduits par l'aventure poétique, linguistique et humaine de l'auteur de "Passos estrets per terres altes" (1998) lequel, à son rythme, à partir des années cinquante du siècle passé, de famille en famille, de Llo à Saint Laurent de Cerdans, de Bouleternère à Toulouges, de Fontpédrouse à Sorède,  pépite après pépite, "paraula fonda" après "paraula fonda" composait, parallèlement à son travail de boucher, libraire et écrivain, son "cant alt" (pour évoquer ici le titre de sa première autobiographie littéraire). Cette belle publication grandit davantage encore la personnalité créative, intellectuelle et sensible de J-P. Cerdà, auquel il n'était pas inopportun mais bienvenu (pour un public catalanophone) que les éditeurs associent la version catalane d'un très instructif et fraternel texte de Jean-Baptiste Para, poète et directeur de la revue Europe. Sous le titre de "Rituals del plaer d'ésser" (p.13-20) et convoquant Dante comme Gérard de Nerval et Ossip Mandelstam, il s'attache à nous faire "comprendre el gest apassionat del poeta Jordi Pere Cerdà en favor del canzoniere que va dedicar-se a recollir a la Cerdanya un cop acabada la guerra i que va convertir-se en "la part de somni de la seva vida". Une part de rêve qui, par la promesse, la volonté et la constance d'Elena Cayrol (la veuve du poète) ainsi que par le regard universitaire édificateur et respectueux du sauvetage de perles d'une mémoire collective enfouie ou  isolée, une part de rêve devenue réalité, et une réalité... monumentale pour tout habitant du département qui a un souci patrimonial de récupération, de restauration et de valorisation.  De résistance à l'oubli, à l'effacement culturel.

"CANTS POPULARS de la Cerdanya  i el Rosselló" doit faire l'objet d'une présentation le mercredi 22 février 2017 en la librairie Torcatis, 10 rue Mailly à Perpignan, en présence de Madame Hélène Cayrol, de ses enfants et des "Amis de Jordi Pere Cerdà", association à l'origine du projet d'édition.

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